Plusieurs observations et témoignages m’ont récemment poussé à rechercher de la documentation à propos de la différenciation de l’enseignement:
- une assistante, suite à un cours ex-cathedra avec 70 étudiant-e-s se demande s’il est possible de donner sa matière autrement, mais elle écrit: « Je garderai cependant le même genre d’approche pour l’enseignement, car vu le type de cours il n’y a pas tellement de possibilités« .
- dans les évaluations des enseignements, lorsque des étudiant-e-s de différentes disciplines sont rassemblé-e-s pour un même cours, je vois souvent des commentaires du type: « ce cours est trop facile pour les géologues et trop difficile pour les géographes« , « ce cours a beaucoup d’intérêt pour les psychologues mais beaucoup moins pour les sociologues« , etc.
- un assistant donne cours à un groupe composé d’étudiant-e-s de 19-20 ans et de professionnel-le-s de 40-50 ans qui ont déjà 15 à 20 ans de carrière: comment intéresser tout le monde? comment montrer aux jeunes étudiant-e-s qu’ils/elles ont probablement aussi des choses intéressantes à apporter dans le cours?
P. Perrenoud (1992) définit ainsi la différenciation:
différencier, c’est organiser les interactions et les activités de sorte que chaque élève soit constamment ou du moins très souvent confronté aux situations didactiques les plus fécondes pour lui.
Différencier son enseignement est une pratique assez courante dans l’enseignement primaire, par exemple, en organisant des groupes de niveaux différents, en organisant un tutorat entre élèves (des enfants plus avancés pour certaines compétences aident des élèves moins avancés pour certaines activités), en proposant des exercices individualisés auto-corrigés (chaque élève va alors à son rythme au travers d’un fichier d’exercices), en organisant des travaux de groupe, etc.
Beaucoup d’enseignant-e-s et d’assistant-e-s à l’université réagiront probablement à cette idée de différenciation en disant que ce n’est tout simplement pas possible: pas le temps, pas d’utilité, cela demanderait trop d’organisation et trop d’assistant-e-s pour encadrer les étudiant-e-s, etc. A cela, je répondrais quand même plusieurs choses:
- différencier n’est pas individualiser: il ne s’agit pas d’encadrer chaque étudiant-e individuellement en l’accompagnant dans ses apprentissages. Il s’agit plutôt d’organiser des parcours d’apprentissage différents que les étudiant-e-s peuvent emprunter ou non en fonction de leurs besoins.
- tout le travail ne doit pas être fait uniquement par l’enseignant-e: les étudiant-e-s peuvent aussi participer à l’organisation par exemple en s’entraidant, en recherchant des ressources complémentaires, en s’évaluant l’un-e l’autre, en se répartissant le travail, etc. L’enseignant-e a alors surtout un rôle d’organisateur-trice d’activités d’apprentissage.
- bien qu’on ne s’en rende pas toujours compte, beaucoup d’activités d’enseignement sont déjà différenciées à l’université: le support des assistant-e-s dans les laboratoires lors des TP, les ressources complémentaires des cours que les étudiant-e-s peuvent utiliser ou non en fonction de leurs intérêts ou besoins, l’accompagnement des mémoires et des thèses, le feedback donné aux étudiant-e-s ou groupes d’étudiant-e-s qui présentent leur travail dans un séminaire, le choix qu’ont les étudiant-e-s pour trouver un thème pour leurs travaux individuels, l’utilisation des plates-formes virtuelles d’enseignement qui laissent une certaine liberté dans l’usage des ressources mises à disposition ou la possibilité de proposer des parcours d’apprentissage que les étudiant-e-s peuvent suivre à leur rythme, l’organisation d’heures de réception pour les étudiant-e-s qui auraient des questions particulières à poser, la mise à disposition de podcasts pour les étudiant-e-s, etc.
Différencier l’enseignement à l’université pourrait donc être un prolongement de ce qui se fait déjà. Ce serait aussi l’occasion d’être davantage attentif-ve aux questions que j’ai citées au début de cette note. Voici donc quelques pistes à explorer, que j’ai glanées ça et là, mais surtout dans ce document produit par l’Institut National de Recherche Pédagogique (INRP) français (évidemment, le texte est très orienté « école primaire »… mais celui ou celle qui me trouve un document spécifique pour l’enseignement universitaire gagne un abonnement à vie à ce blog 🙂 ). Je les adapte pour l’enseignement supérieur:
- en première année de BAC, il peut être utile de demander aux étudiant-e-s, lors du premier cours, ce qu’ils/elles connaissent déjà de la matière qui va être vue. Ceci peut se faire par exemple via un bref questionnaire. Le cours peut alors commencer en faisant référence à ce que la plupart des étudiant-e-s savent déjà ou pas. En plus, cela conduit à une réflexion intéressante à propos des prérequis des cours: que faut-il connaître et savoir-faire pour pouvoir suivre un cours sans être directement complètement largué-e?
- lorsque des étudiant-e-s de plusieurs sections différentes sont présent-e-s au cours, une idée est de proposer aux plus « faibles » un ou deux textes de base à lire lors des 2 ou 3 premières semaines du cours. Cela peut leur permettre de se mettre à niveau. Éventuellement, les 2-3 premiers cours peuvent se faire sans eux ou uniquement avec eux, pendant que l’autre groupe a d’autres travaux à réaliser.
- pour automatiser et individualiser le feedback aux étudiant-e-s à propos de leurs travaux, le recours aux grilles d’évaluation critériées peut s’avérer très pratique. Je décrirai ce système dans une prochaine note mais le principe est de préparer à l’avance une grille qui reprend en détails ce qu’on attend d’un bon travail. Cette grille décrit aussi point par point ce qu’est un moins bon travail et ce qu’est un travail au-dessus de la moyenne. Il suffit alors d’entourer les commentaires qui correspondent à un travail pour créer un feedback individualisé. Plusieurs exemples se trouvent sur cette page créée dans un collège privé du Minnesota (Saint-Scholastica). Ces grilles peuvent être utilisées par les étudiant-e-s eux-mêmes pour auto-évaluer leurs travaux ou par les étudiant-e-s entre eux/elles pour évaluer le travail de leurs collègues.
- avec des étudiant-e-s adultes qui exercent déjà une profession, le programme d’un cours peut se construire autour des intérêts professionnels et personnels des participant-e-s, par exemple en leur faisant développer un projet qu’ils/elles devraient mettre en place sur leur lieu de travail. Le rôle de l’enseignant-e est alors d’accompagner les projets et de fournir des ressources.
- pour réaliser certains travaux collaboratifs, il est possible de former délibérément les groupes en mettant ensemble des étudiant-e-s plus avancé-e-s et d’autres moins avancé-e-s, en regroupant des étudiant-e-s qui ont des compétences complémentaires ou en imposant certains rôles ou certaines tâches à chaque étudiant-e dans les groupes pour que chacun-e développe des compétences spécifiques (recherche de documentation, synthèse d’articles, interview d’expert-e-s, rédaction de résultats de recherche, etc.).
Voici donc quelques idées à tester et explorer. Je reviendrai très probablement sur ce thème bientôt en fonction des discussions que je ne manquerai pas d’avoir avec des assistant-e-s et des enseignant-e-s…
Perrenoud, P. (1992). Différenciation de l’enseignement: résistances, deuils et paradoxes. Cahiers pédagogiques, 306, 49-55.
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