C’est plutôt rare, mais cette note s’adresse aux conseiller-ère-s pédagogiques plutôt qu’aux enseignant-e-s. Ces dernier-ère-s sont cependant comme d’habitude bienvenu-e-s 🙂
Parmi les activités des conseiller-ère-s pédagogiques, il en est une dont on parle relativement peu à côté de la formation des enseignant-e-s, l’évaluation des enseignements ou la recherche. Il s’agit du conseil pédagogique. Cette activité occupe, je pense, une part non négligeable de notre temps de travail mais il me semble qu’elle reste assez informelle et peu documentée. Lors du dernier BSQF en 2009 (rencontres francophones des conseiller-ère-s pédagogiques), ceci était apparu de façon assez claire dans la mesure où nous étions d’accord sur certains principes d’action comme l’écoute, l’accompagnement des projets des enseignant-e-s, le respect de leurs orientations pédagogiques, etc. mais sans avoir toujours tous les outils de communication adéquats pour mener au mieux des entretiens de conseil. Dès lors, depuis ces rencontres qui ont eu lieu il y a tout juste un an, j’ai suivi deux formations courtes: l’une avec Myriam Germain-Thiant intitulée « L’entretien-conseil » (merci aux collègues de Grenoble pour l’organisation!) et l’autre avec Valérie Jacquérioz-Brissaud intitulée « Communiquer: écouter et se faire entendre ». Le contenu de ces formations portait sur la communication inter-personnelle, et plus particulièrement pour la première dans un cadre de conseil ou d’expertise.
J’essaie de présenter dans cet article les notes que j’ai prises sous la forme de quelques outils à mettre en œuvre plus systématiquement et de façon plus consciente. M’efforcer de réécrire ces notes m’a en tout cas permis d’y voir plus clair dans ma pratique et de formaliser ce que je fais parfois trop intuitivement. Le livre de Myriam Germain-Thiant (2001) constitue par ailleurs un très bon point de départ certainement plus complet.
Une précision encore pour que le contexte soit clair: je parle ici des entretiens individuels ou d’équipe que l’on peut avoir avec des enseignant-e-s, que ce soit pour un conseil pédagogique ponctuel suite à une question particulière ou à l’évaluation d’un enseignement ou pour un travail plus conséquent sur un projet pédagogique.
- Myriam Germain-Thiant a tout d’abord attiré notre attention sur l’importance de fixer des objectifs précis aux rencontres de conseil avec les enseignant-e-s. Ceci paraît évidemment trivial mais c’est le point de départ et ce n’est pas dérangeant de le rappeler. Ces objectifs ne sont en fait pas toujours clairs pour les enseignant-e-s ni pour les conseiller-ère-s, par exemple si l’entretien fait suite à une évaluation d’enseignement. Il nous a paru d’ailleurs important de définir les objectifs de façon collaborative en ayant pour cadre l’idée d’une coopération entre enseignant-e et conseiller-ère pour initier un processus de réflexion et/ou de changement à propos du processus d’enseignement-apprentissage.
Ce travail autour de la définition d’un objectif et d’un « vers où on va » ensemble est l’occasion aussi de:- Clarifier le vocabulaire: En tant que conseiller-ère, on a parfois tendance à utiliser du jargon pédagogique (« évaluation formative », « ECTS », « constructivisme », « APP », etc.) qu’il faut expliciter.
- Clarifier notre posture: Si notre mandat d’accompagnement n’est pas suffisamment explicite, c’est le moment de préciser « qui nous envoie » et « pour qui ou quoi on travaille ».
- Clarifier le processus: Il s’agit d’expliquer comment l’entretien va se dérouler, par quelles étapes on va passer et ce qui se passera après l’entretien pour mettre en œuvre ce qui aura été décidé.
Cette discussion préalable permet aussi de répondre à toutes les questions de l’enseignant-e et en même temps d’adapter notre écoute et notre attitude à la situation.
- Le recours au cadre de l’apprentissage réflexif (Schön) ou de l’apprentissage expérientiel (Kolb) est un bon outil pour mener un entretien, que celui-ci se déroule à la demande de l’enseignant-e ou, dans certaines institutions, suite à une évaluation d’enseignement. J’ai déjà parlé de Kolb dans ce blog mais j’aimerais y revenir pour définir grosso modo quatre étapes de travail:
- Dans un premier temps, il s’agit de parler de l’expérience d’enseignement vécue (Expérience concrète): que s’est-il passé, dans quelles circonstances, quelles étaient les intentions de départ, qui était impliqué, comment l’événement a-t-il été vécu par les différentes personnes impliquées, etc.? Il arrive que cette étape se déroule trop rapidement. Or, décrire la pratique dans tous ses détails est essentiel pour tenter par la suite d’identifier des hypothèses explicatives à ce qui a bien fonctionné ou moins bien fonctionné dans l’expérience vécue.
- Vient ensuite l’étape de l’analyse (Observation réflexive): pourquoi cette expérience s’est-elle déroulée ainsi, qu’est-ce qui, en particulier, a pu poser problème ou qu’est-ce qui a facilité la séance de cours, comment expliquer ce qui s’est passé, etc.? Il s’agit ici de réfléchir à sa pratique en émettant des hypothèses pour comprendre ce qui s’est passé.
- A la troisième étape, on tente de dégager ensemble des explications plausibles (Conceptualisation abstraite): quels principes pédagogiques peut-on dégager de la réflexion, quelles études ou théories permettraient de comprendre l’expérience vécue, etc.? Les conseiller-ère-s, dans cette phase, sont souvent amenés à puiser dans leur expérience pour aider à trouver des pistes de compréhension en présentant notamment des exemples d’autres situations semblables.
- Dans la quatrième phase, on s’oriente à nouveau vers l’action (Expérimentation active): que peut-on faire autrement, qu’est-ce qui va être essayé ensuite, pourquoi, etc.? Il s’agit alors de se projeter dans la prochaine intervention ou le prochain cours en identifiant ce sur quoi l’enseignant-e voudrait travailler en particulier. Il s’agit ici de prendre une décision et de dégager des priorités.
Pour moi, ces quatre étapes définissent davantage un travail de collaboration plutôt qu’uniquement un travail de conseil, dans le sens où l’analyse et la réflexion sur l’action sont menées conjointement, entre le/la conseiller-ère et l’enseignant-e. Mais je pense que je reviendrai plus en détails sur ce point dans une note ultérieure.
- Un troisième outil a davantage trait à la communication inter-personnelle: c’est la reformulation, qui est le témoin en fait de l’écoute active et participative dans l’entretien. Il s’agit de témoigner à la personne à qui on s’adresse d’une écoute et d’une présence totale à sa parole « sans induction ni distorsion de celle-ci » (Germain-Thiant, 2001, p. 49). La reformulation permet ainsi de s’assurer que la parole de l’autre a bien été comprise et de proposer un miroir à la personne qui s’exprime pour réfléchir à ce qu’elle raconte et pour aller plus loin dans sa réflexion. En tant qu’éducateur de formation à la base, c’est évidemment quelque chose qui n’était pas inconnu pour moi mais j’ai trouvé intéressant de recadrer cet outil dans une relation de conseil/accompagnement plus spécifique.
Il y a cinq types de reformulation (Germain-Thiant, 2001, p. 49):- « reformulation-itérative qui renvoie à l’exprimant ce qu’il vient de dire dans les mots qu’il a employés;
- reformulation-synthèse qui renvoie à l’exprimant ce qu’il a dit de manière condensée;
- reformulation sur le vécu qui renvoie à l’exprimant le sentiment qui l’anime quand il s’exprime sur tel sujet;
- reformulation questionnante qui renvoie à l’exprimant ses propos sous forme d’une question dont la réponse lui appartient;
- reformulation-liaison qui suggère à l’exprimant un lien avec un de ses propos tenus précédemment. »
Ces quelques outils et réflexions peuvent paraître « aller de soi » mais pour moi, c’est toujours un bon exercice de formaliser ce que je fais, dis, pense, crois… Ça me permet d’aller plus loin. Et d’ailleurs, ça me donne une idée de prochaine note sur la vision qu’ont certain-e-s enseignant-e-s à propos de notre rôle de conseiller-ère pédagogique…
Germain-Thiant, M. (2001). (Se) former à l’entretien. Lyon: Chronique sociale.
Kolb, D. A. (1984). Experiential Learning. Experience as the source of learning and development. Englewoods Cliffs, NJ: Prentice-Hall.
Amaury,
Tu es trop modeste !
Sois certain que si ce billet est un exercice de formalisation de ta pratique, il est également très inspirant pour tes lecteurs (comme tous les autres que tu produis d’ailleurs, en ce qui me concerne).
Bien cordialement,
Jacques
Merci Jacques 🙂 Je pourrais te retourner le même commentaire 😉 A bientôt,
Amaury
Bonjour,
J’attendais avec impatience le prochain billet de ce blog, le voilà, et sur un sujet qui m’intéresse au plus haut point. La conduite d’entretiens avec les enseignants est en effet fondamentale pour la mise en route et la bonne conduite d’un projet. Dans ma pratique d’accompagnement des enseignants dans la conduite de leurs projets pédagogiques numériques, j’utilise une « fiche projet », recto-verso, que nous avons mise en place au sein de mon service et qui nous permet de définir :
– les objectifs du projet (notamment par rapport au contrat d’établissement)
– les acteurs du projet
– les bénéficiaires enseignants et étudiants
– le contexte
– les étapes de réalisation
– le tableau de bord
Cette fiche succincte est certes un outil qui permet de conduire le(s) premier(s) entretien(s) de cadrage du projet, un outil de suivi mais a aussi l’avantage de formaliser un engagement mutuel entre l’enseignant ou l’équipe pédagogique et le service TICe dans lequel je travaille. Je me sens personnellement d’autant plus impliquée dans le projet que cette fiche est co-renseignée et je pense qu’il en va de même pour les enseignants que j’accompagne.
Le point sur lequel j’aimerais avancer est celui d’entretiens bilan. Nous n’évaluons pas suffisamment nos projets une fois qu’ils sont achevés, ou alors de manière très informelle, mais il serait certainement intéressant que l’on puisse adopter une démarche similaire. Je ne suis personnellement pas du tout formée en la matière et la conduite d’entretiens faisant appel à la réflexivité de l’enseignant, que ce soit pour évaluer un projet ou des enseignements, me semble bien plus délicate à mener. Les 4 phases présentées dans le point 2 sont vraiment très intéressantes à explorer et j’aimerais aller plus loin sur ce sujet, donc j’attends avec impatience (encore une fois) la « note ultérieure ».
Enfin, la pratique de la reformulation plus ou moins automatique dans les interactions avec mes étudiants me vient peut-être moins naturellement en entretien avec un enseignant. En fait, je n’ai jamais vraiment réfléchi à la question et je m’aperçois qu’il faut que je le fasse. J’ai certes tendance à récapituler régulièrement les points abordés et les engagements pris, ce qui est une forme de reformulation, mais tout de même assez sommaire.
Pardon d’avoir été si longue et merci encore pour toutes ces pistes de réflexion!
Barbara
Merci pour cette description d’expérience. C’est vrai que plus formellement, on peut établir une sorte de « contrat » avec les enseignant-e-s, surtout quand le projet implique des usages de TIC et que plusieurs acteurs peuvent être impliqués. Savoir qui fait quoi et vers où on va ensemble permet d’avancer plus efficacement.
Peut-être que pour l’entretien-bilan, une idée pourrait être de fixer avec l’enseignant-e au départ quelques critères d’évaluation-qualité? Par exemple: à quoi verra-t-on que notre projet a réussi? Et quand ferons-nous le point pour savoir si nos objectifs de départ sont atteints?
Pour la « note ultérieure », disons que j’ai plus un questionnement à propos de nos rôles, fonctions et postures en tant que conseiller-ère-s pédagogiques, car je remarque que pas mal d’enseignant-e-s se méprennent un peu sur ce qu’ils/elles peuvent attendre de nous… Mais c’est un vaste débat 🙂
A bientôt,
Amaury
C’est une idée toute simple mais une bonne idée effectivement. Fixer 2 ou 3 indicateurs de réussite du projet…
Je vais méditer ça.
Pour la posture du conseiller pédagogique, il est vrai qu’il faut « trouver sa place ». Pour ma part, je suis enseignante à l’origine, et dans mon équipe d’autres personnes qui font la même chose que moi, ou presque, sont ingénieures en technologies de la formation. Ca me rappelle que j’ai entendu une communication très intéressante d’une personne de Toulouse à ce sujet lors du congrès de l’AIPU de Rabat en mai : les enseignants peuvent avoir du mal à recevoir des conseils d’autres enseignants (« en quoi auraient-ils plus de compétences que moi en pédagogie? ») mais peuvent aussi avoir du mal à en recevoir d’ingénieurs de formation (« que connaissant-ils à la pédagogie? »).
A bientôt.
Barbara
Oui tout à fait.
D’une part, j’ai un souci avec le terme « conseiller ». Les gens croient parfois que nous sommes comme des « conseillers financiers » ou que nous intervenons comme des médecins urgentistes uniquement en cas de problème… Mais je trouve qu’il y a une dimension collaborative dans notre travail qui va au-delà du simple conseil. On construit en général quelque chose de neuf ensemble qui ensuite appartient à l’enseignant-e.
D’autre part, il me semble (mais ce n’est vraiment qu’un sentiment personnel) que les centres de pédagogie universitaire qui sont dirigés par un-e professeur-e (qui a effectivement ce titre) spécialisé en pédagogie universitaire ont davantage de crédibilité aux yeux des enseignant-e-s. Mais cela dépend aussi beaucoup du soutien institutionnel et des procédures mises en place au sein de l’institution pour valoriser l’enseignement (projets d’innovation, dossiers d’enseignement des profs, évaluation des enseignements, etc.).
Bonjour,
Je confirme les propos de Mr Rodet :
« Sois certain que si ce billet est un exercice de formalisation de ta pratique, il est également très inspirant pour tes lecteurs ».
Emilie
Alors merci!
Et il ne faut pas hésiter à réagir, car ce n’est pas toujours évident de savoir si je « tombe juste » avec mes quelques notes…
Actuelle étudiante en science de l’education en Haiti . J’apprécie ton approche. a bientot.
Merci pour les encouragements!
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