Récemment, deux articles parus dans la presse en Suisse remettent en cause le processus de Bologne avec divers arguments. Le premier, signé par Maurice Baumann, professeur à l’Université de Berne, est intitulé « Bologne: quel gâchis! » (PDF – 616Ko) et est paru dans L’Express. Le second s’intitule « Bologne: un rêve brisé? » et est paru dans LausanneCités. Même si le titre de ce dernier finit par un point d’interrogation, son contenu, comme celui du premier, se centre sur la remise en question du système en pointant plusieurs de ses dérives pressenties.
J’ai déjà parlé à plusieurs reprises du processus de Bologne, ses intentions et son avenir. Je ne vais pas revenir sur cela ici. J’aimerais juste lister les arguments présentés dans les deux articles cités et essayer d’y apporter quelques réponses à discuter.
Maurice Baumann fait essentiellement trois reproches au système Bologne:
- « Bologne est un système d’étude à plein temps et présuppose un système de bourses efficace. Or celui-ci étant nettement insuffisant, il se trouve que plus de 60% des étudiants doivent travailler pour payer leurs études. […] Bologne représente un système réactionnaire en ce qui concerne la démocratisation des études. » Ces affirmations me semblent un peu curieuses. Tout d’abord parce les étudiant-e-s n’ont pas attendu Bologne pour travailler. En Suisse, c’est effectivement très répandu et surtout dans les disciplines de sciences humaines où les étudiant-e-s ont des horaires hebdomadaires plus souples qu’en sciences exactes (voir les résultats de l’enquête auprès des étudiant-e-s de l’UNIL réalisée par le Service d’Orientation et Conseil, PDF – 17,3Mo). Mais d’un autre côté, les coûts d’inscription sont très faibles par rapport à d’autres pays. Ensuite, la démocratisation des études n’est peut-être pas optimale mais elle n’a jamais été aussi large. Les universités et les hautes écoles suisses n’ont jamais accueilli autant d’étudiant-e-s… Et enfin, parmi tou-te-s ces étudiant-e-s, une très grande part fait un séjour à l’étranger grâce à Bologne: à Lausanne, plus de la moitié des diplômé-e-s de Master ont effectué un séjour à l’étranger durant leurs études. Il me semble donc que l’auteur attribue à la réforme Bologne les problèmes de démocratisation et de bourses qui sont récurrents en Suisse alors que c’est un problème de la Suisse elle-même…
- « Bologne est un système d’étude supprimant la liberté académique« . Ici, l’auteur considère que le système d’évaluation « imposé » par Bologne encourage les étudiant-e-s à répéter ce qu’on leur a dit au cours sans faire preuve d’esprit critique. Pour rappel, j’aimerais redire que Bologne n’impose aucun système d’évaluation particulier. C’est aux différents pays et instances académiques à réfléchir à cette question. Pour sa part, la Conférence des Recteurs des Universités Suisses (CRUS) recommande, sans l’imposer, de recourir davantage à des examens par modules (PDF – 107Ko, p. 7), c’est-à-dire à des épreuves portant sur les compétences à maîtriser dans plusieurs cours afin d’encourager les étudiant-e-s à faire des liens entre les matières et à rendre le temps consacré aux évaluations moins important et donc moins stressant. J’ai donc du mal à comprendre en quoi Bologne serait une menace pour la pensée critique et la liberté académique. Par contre, cela nous indique qu’il y a du travail à accomplir pour développer de nouvelles formes d’évaluation à l’université.
- « Bologne est un système d’étude confondant la mémorisation des savoirs avec la pensée vive« . Je dirais plutôt: au contraire! Un système qui encourage la mobilité et la rencontre d’autres systèmes d’enseignement et d’autres façons d’aborder les contenus d’enseignement serait plutôt bénéfique pour développer la pensée vive. Seulement, un problème qui se pose est que dans certaines sections d’enseignement, la même organisation des études perdure depuis toujours sans adaptation au contexte. Actuellement, la massification de l’enseignement supérieur et l’accès aux études de publics de plus en plus différents requièrent de nouvelles formes d’organisation et de gestion. Cela requiert aussi certaines adaptations pédagogiques, notamment pour la gestion des grands groupes mais aussi pour les évaluations qui devraient devenir plus souples et davantage centrées sur les apprentissages visés au départ.
Les deux articles de LausanneCités vont dans le même sens mais prennent soin de donner la parole à des personnes qui pilotent la réforme à l’Université de Lausanne. Celles-ci reconnaissent que la réforme a des effets structurants qui passent parfois mal dans certaines facultés. Par exemple, le fait de déterminer des objectifs d’apprentissage ou un cadre national de qualification est vu par certain-e-s étudiant-e-s comme une atteinte à la liberté de composer leur programme de formation comme ils/elles l’entendent et par certain-e-s enseignant-e-s comme une immixtion dans le contenu de leurs cours. Le problème est que cet ancien système rend très difficile la comparaison entre les programmes de différentes universités et pose de vraies questions d’employabilité une fois les études finies.
Ceci dit, ces questions qui se posent sur la réforme Bologne sont assez localisées dans un pays dont la population se méfie de l’Europe en général… Il suffit de lire les journaux belges par exemple pour voir que la réforme est considérée ailleurs comme une bonne opportunité pour améliorer la qualité des études universitaires, et cela, que ce soit du point de vue des étudiant-e-s ou de celui des enseignant-e-s et des autorités académiques. A mon avis, un article comme celui publié cette semaine par La Libre Belgique et intitulé Des études universitaires calibrées pour l’emploi passerait très mal en Suisse 🙂
Finalement, en tant que conseiller-ère pédagogique, nous avons probablement un rôle important à jouer par rapport aux changements qu’a apportés la réforme Bologne. Il s’agit surtout à mon avis d’un rôle de communication et d’explicitation des enjeux, mais aussi de démystification: le gâchis qu’on attribue parfois à Bologne est plutôt à chercher du côté de la façon dont cette réforme est mise en œuvre localement (trop d’examens, peu de cohérence au sein de certains programmes, etc.). Il s’agit aussi d’un rôle d’accompagnement, par exemple pour la mise en œuvre de nouveaux programmes, la réflexion sur leurs objectifs et leur cohérence, la compréhension du système ECTS, la mise en place du cadre national de qualification, etc.
Baumann, M. (janvier 2011). Bologne: quel gâchis! L’Express, Neuchâtel.
Kottelat, P. (février 2011). Bologne: un rêve brisé? LausanneCités, Lausanne.
Kottelat, P. (février 2011). Le système de Bologne en question à l’UNIL. LausanneCités, Lausanne.
Des études universitaires calibrées pour l’emploi. La Libre Belgique, 23/02/2011.