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Archive for the ‘Citations’ Category

Les livres de référence en pédagogie universitaire (et en français) sont plutôt rares si on compare avec la littérature sur la pédagogie de l’enseignement primaire et secondaire ou même avec le nombre de livres qui paraissent chaque année en pédagogie des adultes. Je parle ici des livres ou manuels introductifs à l’intention des enseignant-e-s du supérieur pour se former à l’enseignement. Personnellement, je les utilise régulièrement pour préparer des formations. Ceux qui me semblent les plus facilement abordables sont, par ordre alphabétique:

Parmi ces ouvrages, seulement deux sont en français. Mais depuis moins d’un mois, je peux y ajouter un troisième:

Berthiaume, D., & Rege Colet, N. (Eds.). (2013). La pédagogie de l’enseignement supérieur: repères théoriques et applications pratiques (Vol. 1). Berne: Peter Lang.

Il s’agit d’un livre collectif auquel ont participé 12 conseiller/ère-s pédagogiques et enseignant-e-s/chercheur-euse-s spécialisé-e-s dans l’enseignement supérieur. J’ai pu participer avec mes collègues à l’écriture de plusieurs des 20 chapitres qui composent cet ouvrage.

Pour situer l’intention générale du livre, voici quelques extraits de l’introduction (pages 2-3):

Le rôle de l’enseignant du supérieur a donc passablement évolué depuis les années 80. Ce rôle n’est plus de simplement exposer des notions reliées à son domaine d’expertise mais plutôt de concevoir des situations d’apprentissage lors desquelles les étudiants sont amenés à réfléchir aux notions présentées, à les utiliser, de façon à se les approprier. S’il était possible pour un professionnel et/ou un chercheur sans formation pédagogique de s’y retrouver dans un contexte d’enseignement « transmissif », la situation est beaucoup plus difficile dans un contexte où son rôle est d’accompagner l’apprentissage des étudiants. La tâche n’est définitivement pas la même!

Alors, comment aider les enseignants du supérieur à se développer au titre de professionnels de l’enseignement, parallèlement à leur développement dans leur domaine de spécialisation? Depuis les années 70, bon nombre d’institutions d’enseignement supérieur ont mis en place une structure de pédagogie (par exemple, centre de soutien à l’enseignement, centre d’innovation pédagogique, service de développement académique, service pédagogique ou didactique) visant à accompagner les enseignants dans leur développement. Ces structures organisent divers types d’activités allant de l’atelier de formation au conseil individuel, en passant par l’évaluation des enseignements par les étudiants ou la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage. La logique d’intervention est rarement directive et certificative. Dans la plupart des cas, il s’agit de mettre à disposition des enseignants des ressources – humaines, documentaires, financières – pour les aider à se développer selon leurs propres besoins et aspirations. Comme tout professionnel, l’enseignant du supérieur se développe au fur et à mesure que se déroule sa carrière. Ce développement s’effectue par l’entremise de questionnements, d’explorations, de découvertes, de réussites et, parfois, d’échecs. Mais encore faut-il que l’environnement dans lequel oeuvre cet enseignant l’encourage à se développer… […]

C’est donc pour venir en aide aux enseignants du supérieur qui se posent des questions et qui souhaitent approfondir leurs connaissances dans le domaine de la pédagogie de l’enseignement supérieur que nous avons développé le présent ouvrage. Nous souhaitions mettre à disposition de ces enseignants des ressources leur permettant de développer leurs compétences pédagogiques au moment où ils choisiraient de le faire et selon un rythme qui leur sera propre.

La table des matières est présentée sur le site de l’éditeur. Chaque chapitre commence par un cas pratique: un-e enseignant-e se pose une question ou est confronté-e à un problème pédagogique avec ses étudiant-e-s. Ensuite, en articulant éléments théoriques et exemples pratiques, les auteur-e-s proposent de répondre à cette question. Enfin, deux encarts synthétiques closent chaque chapitre, l’un pour les enseignant-e-s et l’autre à l’intention des conseiller/ère-s pédagogiques.

J’espère que ce livre trouvera sa place dans les institutions d’enseignement supérieur, que ce soit dans le bureau des enseignant-e-s ou celui des conseiller/ère-s! Un tome 2 est en préparation et se centrera sur le développement professionnel des enseignant-e-s du supérieur.

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Lorsqu’on commence à enseigner à l’université, on est en général étudiant au doctorat ou on vient de finir une thèse ou un post-doctorat sur un sujet extrêmement pointu. Une fois que l’on obtient un poste d’enseignant-e, il s’agit alors de prendre en charge un ou plusieurs enseignements qui sortent de sa spécialité stricte. A vrai dire, il est même plutôt rare d’enseigner exactement dans son sujet de thèse… Et c’est là que les angoisses commencent. Après une thèse, on est censé être un-e expert-e dans sa discipline mais on se rend bien compte qu’on ne maîtrise pas ‘toute’ la discipline, loin de là… Comment préparer un nouveau cours? Comment anticiper les questions des étudiant-e-s, qui pourraient éventuellement se rendre compte qu’on n’est pas tout à fait expert-e finalement…? Parce que pratiquement tou-te-s les enseignant-e-s universitaires se sont un jour ou l’autre posé ces questions, Therese Huston a publié en 2009 un livre intitulé « Teaching what you don’t know« . La problématique visée par son ouvrage pourrait se résumer dans cet extrait (p. 29):

L’idée même d’enseigner ce qu’on ne connaît pas est certainement un peu dérangeante pour bon nombre d’enseignant-e-s universitaires. Le livre de Huston présente donc le double avantage de briser un tabou et de confronter les enseignant-e-s à la réalité: qui ne s’est jamais senti-e mal à l’aise face à un cours à donner? Et même quand on est un-e expert-e dans un domaine, on peut rencontrer des sujets particuliers avec lesquels on se sent moins en confiance. Par exemple, on peut être un-e enseignant-e de droit civil mais ne pas se sentir tout à fait à l’aise avec le droit du divorce. Ou se voir attribuer le cours d’histoire de l’art contemporain uniquement parce qu’on a réalisé une thèse sur Magritte…

Le livre de Huston propose donc quelques pistes pour préparer, planifier et dispenser un cours dans un domaine où l’on n’est pas expert-e. Le principe général de tous ses conseils est présenté dans cet extrait (p. 57):

Le but n’est donc pas nécessairement de présenter oralement aux étudiant-e-s tout ce qu’ils/elles doivent savoir mais de planifier des activités au cours desquelles les étudiant-e-s vont découvrir les grands lignes d’une discipline (dans le cas d’un cours de première année par exemple) ou explorer certaines thématiques spécifiques d’un domaine d’étude (dans un cours de Master par exemple).

Les conseils donnés par Huston rejoignent les conseils habituellement donnés dans d’autres manuels pour préparer un premier cours (par exemple dans Svinicki et McKeachie, 2011). En voici quelques-uns:

  • Trois mois avant le cours:
    • rassembler une bibliographie de base et établir une liste des principaux concepts ou théories qui devront être abordés dans le cours;
    • organiser éventuellement ces éléments dans une carte conceptuelle afin de déterminer plus facilement l’ordre dans lequel ils seront abordés tout au long de l’enseignement;
    • élaborer d’une part les intentions de l’enseignement et d’autre part les objectifs d’apprentissage visés;
    • choisir un ouvrage de base qui servira de manuel de cours pour les étudiant-e-s ainsi que quelques lectures principales, articles scientifiques ou chapitres d’autres ouvrages.
  • Deux mois avant le cours: élaborer le syllabus du cours en établissant la planification complète des activités, semaine par semaine, et en précisant les modalités d’évaluation à destination des étudiant-e-s.
  • Un mois avant le cours:
    • pour chaque séance, établir le programme et préparer le contenu (par exemple les dias à présenter, les exercices à organiser, les discussions à animer, etc.);
    • concevoir les activités que les étudiant-e-s devront réaliser entre les séances (lectures, exercices, cas ou problèmes à résoudre, etc.);
    • prévoir les usages éventuels de technologies (plate-forme d’enseignement, podcasts, etc.);
    • planifier le temps requis pour effectuer l’éventuel suivi des travaux des étudiant-e-s.

Huston ne cache pas la difficulté qu’il y a à enseigner un nouveau cours dans un domaine que l’on connaît peu mais elle ne cache pas non plus le fait que cela est très valorisant d’explorer un nouveau domaine, d’être amené à rechercher de nouvelles façons d’enseigner et d’éventuellement développer de nouveaux sujets de recherche. Ceci est très bien exprimé dans ce dernier extrait (p. 37):

Huston, T. (2009). Teaching What You Don’t Know. Harvard University Press.

Svinicki, M., & McKeachie, W. J. (Eds.). (2011). McKeachie’s teaching tips. Strategies, research, and theory for college and university teachers (13th ed.). Belmont, CA: Wadsworth.

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Le site EducPros.fr publie ce mois-ci un dossier intitulé « Innovations pédagogiques: l’enseignement supérieur autrement« . Voici son premier paragraphe:

Si l’on s’en tient à la définition usuelle, innover consiste à introduire quelque chose de neuf dans un contexte bien établi. Qu’est-ce alors innover dans le domaine de l’enseignement supérieur ? Mettre en place un système d’apprentissage allant à l’encontre de la doxa habituelle ? Cela se traduit, au sein des établissements, par de multiples expériences, portées par des équipes d’enseignants motivés. Au cas par cas, en fonction des matières et du public, il s’agit de s’adapter, d’inventer de nouveaux outils. Avec un objectif : faire autrement pour faire mieux. Innovation ou changement des pratiques pédagogiques ?

C’est l’occasion de s’interroger sur ce qu’on entend généralement par « innovation pédagogique ». Je me souviens de la définition donnée par Bernadette Charlier et Daniel Peraya en 2003:

Il s’agit d’une transformation, d’un changement effectif et pas seulement l’idée ou le projet de changement. Cette transformation peut être apportée par des acteurs différents et s’effectuer à un niveau local ou global . Cette transformation devrait avoir des effets positifs (amélioration de l’efficacité du système).

Dans certaines universités, l’innovation est encouragée, voire même récompensée. Ici à Lausanne, le Fonds d’Innovation Pédagogique finance chaque année des projets d’enseignant-e-s. Pour 2011, 20 projets ont été retenus en provenance de toutes les facultés. Le résumé de ces projets est proposé en lecture sur le site. Personnellement, j’accompagne trois de ces projets cette année et j’essayerai de parler un peu de leurs thématiques dans les prochains mois.

Innover, ce n’est donc pas juste « ajouter du neuf », c’est aussi améliorer, changer, et donc « apprendre ». C’est ce que je souhaite à tou-te-s pour 2011!

Charlier, B., & Peraya, D. (Éd.). (2003). Technologie et innovation en pédagogie: dispositifs innovants de formation pour l’enseignement supérieur. Brussels: De Boeck Université.

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Cet article complète plusieurs notes déjà publiées sur la thématique du conflit sociocognitif (avant de lire cette note, j’ai presqu’envie de suggérer d’aller revoir les épisodes précédents… 😉 ). Une auteure dont je n’ai pas encore parlé dans ce cadre est Britt-Mari Barth qui a publié en 1993 (2ème édition 2002) un livre intitulé « Le savoir en construction » dont les objectifs sont de décrire les mécanismes d’apprentissage et de changement conceptuel chez les étudiant-e-s et de proposer des pistes d’action en classe. Je reprends ici quelques extraits de cet ouvrage pour présenter ce que l’auteure appelle le « dialogue cognitif ». Je résume aussi quelques conseils qu’elle donne aux enseignant-e-s pour amener les étudiant-e-s à entrer dans ce dialogue.

CREER LE DIALOGUE COGNITIF

C’est par le dialogue, par l’échange, par le doute, par le conflit, par l’argumentation – suscités grâce aux exemples – que les perceptions intuitives des uns et des autres peuvent commencer à s’accorder et à évoluer vers une compréhension commune.

En laissant le temps aux apprenants de s’exprimer, en prévoyant un support visuel pour garder en mémoire toutes les observations, on suscite chez eux un premier niveau de confrontation entre l’information nouvelle et eux-mêmes. Les apprenants prennent conscience de la variété d’interprétations qu’on peut faire à partir d’une même source d’information. Mettre les apprenants « en direct » avec le savoir en question (dans sa forme concrète) permet une première analyse de ce qu’ils sont à même de percevoir. Cette analyse devra par la suite être affinée tout au long de la situation d’apprentissage.

Un deuxième niveau de confrontation est ensuite créé par l’argumentation: maintenant c’est l’interaction entre les apprenants qui est au centre. C’est une étape critique: c’est là que les conditions d’échange et de dialogue devraient permettre ce changement conceptuel qui est le but de l’opération. […]

Pour réfuter l’argument de l’autre, il faut opérer un déplacement: on est amené à voir les choses sous un autre angle. C’est en s’opposant à l’autre qu’on fait un premier pas vers lui… Cela va éventuellement amener à une transformation ou une confirmation de son propre point de vue. Comprendre veut dire créer une signification dans la multitude d’impressions qui s’imposent à nos sens. Comprendre veut également dire pouvoir adhérer à une norme commune sur laquelle il faut pouvoir se mettre d’accord. C’est dans la relation à autrui et dans l’échange que cette signification se crée; le médiateur est l’organisateur et le facilitateur de ce processus de communication grâce auquel il peut, pour chaque apprentissage, aider les apprenants à progresser dans l’élaboration de leurs réseaux conceptuels.

Un troisième niveau de confrontation – qui se poursuit en parallèle avec les deux autres – est créé par les questions que le médiateur ne manquera pas de susciter à tout moment approprié. Elles accompagnent la réflexion commune, incitent à l’analyse et au jugement critique ainsi qu’à la recherche de mots justes. Elles visent donc en premier lieu les processus cognitifs: Est-ce qu’il y a d’autres points comparables? Pourquoi voulez-vous barrer cette idée? Comment pourra-t-on regrouper toutes ces observations pour mieux voir ce qui va ensemble? Comment nommer les groupements? Comment peut-on modifier cet exemple pour qu’il devienne un exemple positif? Quelle conclusion peut-on en tirer? Le but est, à tout moment, de stimuler la réflexion des apprenants. (Barth, 2002, p. 160-161).

Ces trois niveaux de confrontation se retrouvent à différents moments dans un séminaire ou dans un cours:

  • les étudiant-e-s sont confronté-e-s à des sujets scientifiques, seul-e-s ou en groupe, et sont amené-e-s à se poser des questions, à réfléchir au sens de la matière abordée, à identifier ce qu’ils/elles ne comprennent pas, ce avec quoi ils/elles sont d’accord ou pas;
  • lors d’une discussion, les étudiant-e-s argumentent leur point de vue, apportent des informations complémentaires, justifient leurs opinions, résument les arguments des autres oralement ou même par écrit, etc.
  • pour encadrer les deux moments précédents, les questions de l’enseignant-e sont très importantes: elles ont pour fonction de toujours mener plus loin le débat en amenant une réflexion sur le pourquoi et le comment.

Dans un cours, les moments de présentation de matière peuvent ainsi alterner, en fonction du temps disponible et des objectifs, avec des moments de présentation par des étudiant-e-s, des questions de réflexion à l’ensemble la classe, des discussions entre étudiant-e-s à deux ou trois, des synthèses des éléments importants à retenir, des brainstormings, etc.

Dans un séminaire, les discussions des travaux et des présentations d’étudiant-e-s peuvent être structurées de manière à ce que les autres étudiant-e-s doivent argumenter leurs points de vue, synthétiser le point de vue des autres, apporter de nouvelles informations, etc.

Barth, B. (1993/2002). Le savoir en construction. Paris: Retz.

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Un collègue m’a donné à lire un texte singulier. Il s’agit du portrait d’un professeur de littérature médiévale de l’Université de Lausanne, décédé en 1977 après 40 années d’enseignement à Fribourg, à Lausanne et ailleurs en Europe. La plus grande partie du texte retrace la carrière peu banale de ce chercheur dans une discipline assez pointue liée à la philologie romane. Mais les deux premières pages sont étonnantes et pittoresques. Étonnantes, car elles font le portrait du pédagogue avant de passer à celui du chercheur, et pittoresques car elles donnent un aperçu d’une vision de l’enseignement à l’université que l’on espère (en tout cas pour ma part) révolue. Les quelques lignes que je reproduis ici de ce très bel article d’Alain Corbellari sont à mettre en parallèle avec la citation de Charles Péguy à laquelle j’ai fait référence il n’y a pas très longtemps.

Du temps de Paul Aebischer, les professeurs n’avaient pas d’assistants et n’étaient pas tenus d’avoir le moindre contact avec les étudiants: Aebischer donna donc pendant quarante ans à peu de choses près le même cours d’histoire de la langue et de phonétique historique, dont ceux qui l’ont vu le lire ne se souviennent guère que des pages jaunies et du bachotage forcené auquel donnait lieu l’examen qui le sanctionnait. Notre médiéviste n’eut aucun thésard, se rendit odieux à ses collègues et quitta l’Université flétri par un jury d’honneur devant lequel il avait dû rendre des comptes au sujet de dépouillements qu’il n’avait jamais faits pour le Glossaire des patois de la Suisse romande, mais pour lequel il avait été grassement payé. Une de ses anciennes étudiantes, la professeur Doris Jakubec, nous a raconté qu’à la question souvent posée par les auditeurs des cours d’Aebischer à certaines autorités de l’Université, quant à l’utilité des-dits cours, on répondait invariablement par une phrase aussi péremptoire que nébuleuse: « Mais c’est un très grand érudit! »

Dernier argument à charge, donc, contre le professeur Aebischer: ses cours n’entretenaient aucun rapport avec ses recherches! N’avoir donné envie d’approfondir l’étude de la littérature médiévale pendant quarante ans à aucun étudiant est un exploit que l’on assortirait assurément aujourd’hui de mesures disciplinaires. Mais encore une fois, l’œuvre est là, forte d’une vingtaine d’ouvrages et d’à peu près quatre cents articles écrits dans une quiétude dont plus aucun universitaire n’oserait rêver de nos jours! (Corbellari, 2009, pp. 235-236)

Ce petit passage prête à sourire et nous fait probablement tou-te-s penser à un-e professeur-e (plutôt « un » que « une » d’ailleurs…) dont nous avons eu à « subir » les cours du fait de son désintérêt pour la pratique de l’enseignement. Bien sûr, tout cela se passait il y a plus de 50 ans et l’article dont je cite deux paragraphes ne ternit en rien la mémoire de ce vénérable professeur. Mais plusieurs questions surgissent si l’on se place du point de vue de la pédagogie universitaire. Par exemple, le passage « …dont ceux qui l’ont vu le lire ne se souviennent guère que des pages jaunies… » en dit long sur les pratiques d’enseignement à l’université… Ou, autre exemple, le passage « Notre médiéviste n’eut aucun thésard… » est édifiant du désintérêt qu’il peut y avoir parfois à propos des étudiant-e-s et de leurs apprentissages… Ou encore, « …ses cours n’entretenaient aucun rapport avec ses recherches! » témoigne d’une certaine façon de la séparation qu’il peut parfois y avoir entre l’activité d’enseignement et l’activité de recherche à l’université (et de la prépondérance de la seconde sur la première). Quand je considère avec recul le travail que je fais, je me dis que changer une culture vieille de plusieurs siècles n’est décidément pas très facile…

Corbellari, A. (2009). Paul Aebischer (1897-1977). L’érudition considérée comme un des beaux-arts. Dans U. Bähler & R. Trachsler (Éd.), Portraits de médiévistes suisses (1856-2000). Une profession au fil du temps, Publications romanes et françaises, 246 (pp. 235-259). Genève: Droz.

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Le livre récent de Albero, Linard et Robin (2008) intitulé « Petite fabrique de l’innovation à l’université » est vraiment intéressant à plus d’un titre. En s’attachant à comprendre en profondeur le parcours de quatre enseignant-e-s universitaires en France qui ont mis en place des innovations pédagogiques  (et technologiques) dans leurs cours, les auteur-e-s tentent de répondre à plusieurs questions: quelles sont les raisons de l’innovation, quels obstacles ont-ils/elles rencontrés, comment leurs innovations sont-elles sorties de l’ombre et ont eu une répercussion au niveau de leur université, quelles nouvelles conceptions du métier d’enseignant-e universitaire ces innovations impliquent-elles? C’est la première fois que je lis une analyse aussi fine du parcours d’innovateur-trice-s à l’université. D’un point de vue méthodologique, c’est vraiment aussi un travail remarquable de compréhension et de décodage de données qualitatives très riches.

Je prends ici juste une question en particulier, à savoir les raisons qui ont poussé ces quatre enseignant-e-s à réfléchir à leurs façons d’enseigner et à s’interroger sur l’apprentissage de leurs étudiant-e-s. Cette question n’est pas évidente du tout à l’université, comme le rappellent les auteur-e-s de l’ouvrage en citant (p. 166) un texte de Charles Péguy datant d’il y a plus d’un siècle:

Étant donné que tout enseignement tend à communiquer de la connaissance à des élèves, on peut nommer enseignement supérieur celui qui fait passer avant tout la considération de la connaissance et enseignement primaire celui qui fait passer avant tout la considération des élèves […]. L’enseignement supérieur ne reçoit aucun commandement; il se commande à lui-même; ou plutôt il n’est commandé que par le réel dont il cherche la connaissance vraie, il ne tend qu’à la recherche de la vérité dans la philosophie et dans les sciences […] à la limite, et rigoureusement, il n’a pas à se préoccuper des élèves […]. Ils viennent à lui comme au dieu d’Aristote, suivent son cours, l’entendent de leur mieux, travaillent, au besoin se préparent à l’écouter. Normalement, il n’a pas à se préoccuper de leur insuffisance. Mais c’est à eux d’y pourvoir. Parlant rigoureusement, on peut dire qu’ils sont faits pour le cours, et que le cours n’est pas fait pour eux, puisqu’il est fait pour l’objet du cours.

La démarche des quatre enseignant-e-s dont les auteur-e-s nous content l’histoire est à l’opposé de cette vision de l’enseignement supérieur (pp. 166-167):

Les interviewés partagent explicitement une vision et une conception précise de leur mission d’enseignants. Ils affirment de façon réitérée une même vision professionnelle qui consiste à se mettre aussi bien au service d’un public particulier d’étudiants que du public plus général, ensemble de tous ceux qui souhaitent s’instruire et se former. Ils décrivent aussi, en creux, le rôle et la place qu’occupe pour eux l’université dans le système social: un lieu ouvert de formation intellectuelle et culturelle qui doit trouver des solutions pratiques au difficile problème de l’enseignement de masse individualisé.

Les transformations que trois d’entre eux ont pu engager permettent de mieux comprendre la dynamique de cette conviction et de poser une hypothèse sur leur motivation d’origine, leurs orientations et leur persévérance. Il ressort clairement des entretiens qu’ils ne se sont lancés dans leur entreprise, ni poussés par un besoin personnel de rupture avec les normes, ni par une stratégie de conquête, ni même par une volonté d’imposer un nouveau modèle d’intervention. Ils se sont seulement efforcés de développer toutes les conséquences d’une conviction initiale: repenser l’enseignement des contenus dans une perspective de formation des étudiants, en exploitant chaque opportunité offerte par chaque nouveauté technologique. C’est ce propos décisif qui les a amenés à diverger des stratégies habituelles et qui a soutenu leur détermination à poursuivre l’expérience et à développer des démarches étrangères aux habitudes de l’enseignant-chercheur classique. Dans une université à l’esprit encore largement facultaire, ils ont ainsi ouvert – davantage en faisant qu’en disant – des voies transversales inédites de résolution de problèmes apparemment insolubles.

L’innovation principale vient du fait de situer l’apprentissage des étudiant-e-s au centre de la mission universitaire plutôt que la transmission de contenus d’enseignement. Ceci n’enlève rien à l’importance et l’intérêt des contenus mais il s’agit simplement de placer ces contenus dans une autre perspective. Comment aider le plus grand nombre à s’approprier les contenus enseignés? Quelles stratégies d’enseignement mettre en œuvre pour que les étudiant-e-s comprennent la matière? Quelles stratégies d’évaluation mettre en place pour qu’ils/elles reçoivent des informations tout au long de leur apprentissage à propos de leur maîtrise progressive des contenus? Quels usages de technologies pourraient soutenir ce processus d’apprentissage? Telles sont les questions « innovantes » qui sont posées ici. L’histoire de ces enseignant-e-s nous apprend qu’il y a de nombreux obstacles (en France, mais aussi ailleurs) pour répondre à ces questions et qu’être considéré-e comme un-e pionnier-ère à l’université n’est pas toujours facile à assumer. Leur histoire n’est pas non plus à considérer comme un modèle mais plutôt comme un exemple parmi d’autres qui devrait inciter à ce poser un certain nombre de questions à propos de l’enseignement à l’université et au rôle possible de l’usage des technologies à ce sujet.

Albero, B., Linard, M., & Robin, J.-Y. (2008). Petite fabrique de l’innovation à l’université. Quatre parcours de pionniers. Logiques sociales. Paris: L’Harmattan.

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Une de mes activités actuelles est de préparer avec quatre collègues une journée de formation à propos des usages des technologies pour l’enseignement et l’apprentissage. Celle-ci a lieu pour la première fois à la fin de ce mois. Je vais donc probablement parler un peu de technologies dans mes prochains articles.

J’ai trouvé une citation qui résume assez bien pourquoi nous avons donné une orientation spécifique à cette formation (Deaudelin, Brodeur et Dussault, 2001, p. 189).

Au cours des dernières années, la plupart des universités ont mis sur pied des activités de formation à l’intention de leur personnel. Cette formation présente deux limites: l’une a trait à la nature des activités et l’autre, à l’investissement consenti. En ce qui concerne la nature des activités, il s’agit le plus souvent d’activités ponctuelles de formation où la maîtrise de l’outil occupe souvent une place plus importante que le développement de pratiques d’enseignement exploitant de façon judicieuse les TIC à des fins d’apprentissage. Quant à l’investissement consenti, par les universités, Harasim (1999) soutenait encore récemment « qu’il n’y a actuellement pratiquement pas d’investissement important et systématique en regard de la formation sur la plupart des campus où les enseignants donnent des cours en direct. Il s’agit peut-être là de la faiblesse la plus importante dans la chaîne d’investissements pour la réussite » (p. 22).

Par ailleurs, à notre connaissance, les activités de formation mises sur pied jusqu’à présent exploitent peu la recherche dans le domaine de la pédagogie.

Dans la suite de leur texte, ces deux chercheuses et ce chercheur étaient plus ambitieuses-eux que nous (en 2001!) puisqu’il/elles proposaient de changer les conceptions des enseignant-e-s en les invitant à s’impliquer dans des projets collectifs de développement des usages pédagogiques des technologies… Plus modestement, mais tout en adhérant à leur constat, nous avons axé notre formation autour de trois idées principales:

  • partir des attentes, des questions et des projets des participant-e-s. Le but principal est qu’à la fin de la journée, ils/elles aient en main un scénario d’usage d’une ou plusieurs technologies à intégrer dans un de leurs cours. Du temps sera consacré à un travail individuel accompagné (puisque nous sommes 5 animateurs et animatrice…).
  • présenter des exemples variés d’usages des technologies qui soient à la portée de tout le monde en expliquant les choix pédagogiques des enseignant-e-s quand ils/elles en organisent dans leurs cours. D’expérience, je sais que cela rassure beaucoup les participant-e-s de voir qu’il ne faut pas nécessairement trois ans, trois assistant-e-s et trois informaticien-ne-s pour mettre en place des activités intéressantes.
  • prendre le temps de discuter, de se présenter l’un-e à l’autre ses idées et son projet de scénario, de se questionner, de se critiquer. D’expérience encore, je sais que la plupart des participant-e-s apprécient recevoir du feedback de la part de collègues et être confronté-e aux idées d’autres enseignant-e-s venant d’autres disciplines.

De plus, cette journée sera liée à la formation pédagogique que nous donnons déjà depuis plusieurs années à Lausanne. Un rappel général (et court) des principaux concepts sera proposé en début de séance. Par ailleurs, les questions plus techniques ou plus spécifiques pourront être traitées individuellement avec les ingénieur-e-s pédagogiques de l’UNIL après la formation.

De façon plus générale, une question qui peut être posée aussi à propos des usages des technologies pour l’enseignement et l’apprentissage à l’université est celle des rôles et des compétences que les enseignant-e-s sont amené-e-s à développer pour ce faire. Selon Alvarez, Guasch et Espasa (2009), ces compétences sont souvent très implicites. Pour ces trois chercheuses de l’Université Ouverte de Catalogne, les compétences nécessaires ne sont pas liées seulement à la maîtrise de l’usage des technologies mais bien plus à la résolution de questions pédagogiques et à la conception de dispositifs et d’activités d’apprentissage en mode hybride (= qui alterne des moments d’apprentissage en présence et à distance). Afin d’identifier les rôles et les compétences des enseignant-e-s pour le développement d’usages pédagogiques des technologies, elles ont procédé en trois temps: analyse de la littérature, examen de la description de programmes de formation pour enseignant-e-s et discussions en focus groups avec 101 enseignant-e-s universitaires.

D’emblée, elles ont remarqué que ce que proposent les programmes de formation n’est pas toujours en phase avec les attentes des enseignant-e-s. Pour ceux/celles-ci, il y a surtout un besoin de se rassurer par rapport à leurs propres compétences d’enseignement et de conduite de groupes d’apprenant-e-s alors que bien souvent, les formations à l’usage pédagogique des technologies s’axent principalement sur les méthodes de planification et de design de l’enseignement. Par ailleurs, au sein des focus groups, les enseignant-e-s pointaient le besoin pour eux/elles de pouvoir prendre le temps de discuter avec des collègues de leurs idées d’activités pédagogiques intégrant l’usage de technologies et notamment aussi le fait que développer de tels usages impliquait de travailler et dialoguer avec d’autres acteur-trice-s comme un-e conseiller-ère pédagogique ou un-e spécialiste en technologies.

Finalement, les auteures de l’article identifient cinq grands rôles des enseignant-e-s liés aux usages pédagogiques des technologies. Certains de ces rôles sont très généraux et s’appliquent à toute forme d’enseignement mais les compétences qu’il faut maîtriser pour les mettre en œuvre prennent une dimension particulière lorsqu’elles portent sur l’usage des technologies.

  1. Rôle de design et de planification: il s’agit d’organiser des activités d’apprentissage, de créer des contenus de cours adaptés, de proposer aux étudiant-e-s des ressources d’apprentissage, etc.
  2. Rôle social d’interaction et de communication à distance avec les étudiant-e-s pour préciser des consignes, renforcer, distiller un climat positif pour l’apprentissage, soutenir la collaboration entre étudiant-e-s, etc.
  3. Rôle « cognitif »: il s’agit de la guidance dans l’apprentissage par rapport aux matières abordées, de la gestion de l’évaluation formative ou sommative, du tutorat des étudiant-e-s dans des activités partiellement organisées à distance, etc.
  4. Rôle relevant du domaine technologique: ceci est lié à la maîtrise des fonctionnalités d’un environnement virtuel d’apprentissage et de l’aide apportée aux étudiant-e-s à ce propos.
  5. Rôle relevant du domaine de la gestion: il s’agit autant de la gestion des activités en cours de formation que de la gestion des flux d’informations destinées aux ou en provenance des étudiant-e-s.

Pour développer ces rôles et ces compétences, les chercheuses insistent sur le fait qu’ils sont socialement construits: à l’université, il y a besoin de discuter de pédagogie, que ça soit d’ailleurs lié aux usages des technologies ou non. Elles proposent donc de développer des formations qui soient basées sur les projets personnels des participant-e-s et sur la réflexion et la discussion en groupe. Elles voient dans cette manière de procéder une solution possible pour l’intégration d’innovations pédagogiques dans l’enseignement supérieur.

Voici donc le concept de la formation que nous préparons. Il sera mis en œuvre à la fin de ce mois. J’en redonnerai des nouvelles après son évaluation par les participant-e-s.

Alvarez, I., Guasch, T., & Espasa, A. (2009). University teacher roles and competencies in online learning environments: a theoretical analysis of teaching and learning practices. European Journal of Teacher Education, 32(3), 321-336.

Deaudelin, C., Brodeur, M., & Dussault, M. (2001). Stratégie de développement professionnel visant l’intégration des TIC à la pédagogie universitaire. Dans T. Karsenti & F. Larose (Éd.), Les TIC… au cœur des pédagogies universitaires (pp. 187-208). Québec: PUQ.

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Actuellement impliqué dans un travail préparatoire à la rédaction d’un memento sur le feedback aux étudiant-e-s, j’ai lu le texte de cette conférence de D. Nicol (2007). L’intérêt de ce texte est de clairement lier évaluation formative et feedback, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette littérature. Nicol rappelle ainsi qu’un feedback a pour but d’aider les étudiant-e-s à atteindre des objectifs d’apprentissage fixés au préalable et qu’il devrait donc s’y référer en leur donnant des indications claires sur le parcours qu’il reste à accomplir pour les atteindre. Ceci peut paraître trivial 🙂 mais quand je vous apprendrai qu’il arrive à l’université que des cours d’expression écrite soient évalués au moyen d’examens oraux, vous vous direz probablement comme moi que certaines évidences sont parfois bonnes à rappeler.

Good assessment and feedback practices should:

  1. Help clarify what good performance is (goals, criteria, standards). To what extent do students in your course have opportunities to engage actively with goals, criteria and standards, before, during and after an assessment task?
  2. Encourage ‘time and effort’ on challenging learning tasks. To what extent do your assessment tasks encourage regular study in and out of class and deep rather than surface learning?
  3. Deliver high quality feedback information that helps learners self-correct. What kind of teacher feedback do you provide – in what ways does it help students self-assess and self-correct?
  4. Encourage positive motivational beliefs and self-esteem. To what extent do your assessments and feedback processes activate your students’ motivation to learn and be successful?
  5. Encourage interaction and dialogue around learning (peer and teacherstudent. What opportunities are there for feedback dialogue (peer and/or tutor-student) around assessment tasks in your course?
  6. Facilitate the development of self-assessment and reflection in learning. To what extent are there formal opportunities for reflection, self-assessment or peer assessment in your course?
  7. Give learners choice in assessment – content and processes. To what extent do students have choice in the topics, methods, criteria, weighting and/or timing of learning and assessment tasks in your course?
  8. Involve students in decision-making about assessment policy and practice. To what extent are your students in your course kept informed or engaged in consultations regarding assessment decisions?
  9. Support the development of learning communities. To what extent do your assessments and feedback processes help support the development of learning communities?
  10. Help teachers adapt teaching to student needs. To what extent do your assessment and feedback processes help inform and shape your teaching?

Les quelques conseils de Nicol ci-dessus mériteraient d’être mis en relation avec des exemples de grilles critériées d’évaluation qui permettent de rendre les évaluations plus valides et d’automatiser un peu le feedback. En anglais, c’est plutôt sous le terme rubrics (ou scoring scales) que l’on rencontre ce type d’outil d’évaluation et de feedback. Avant d’aborder cette question dans une prochaine note, voici une série d’exemples de « rubrics » adaptés aux cours universitaires, proposés par la Indiana University Kokomo. Il s’agit d’outils pour évaluer différentes productions souvent demandées aux étudiant-e-s dans différentes disciplines.

Nicol, D. (2007). Principles of good assessment and feedback: Theory and practice. Dans REAP International Online Conference on Assessment Design for Learner Responsibility, 29th-31st May, 2007. Retrouvé de http:/www.reap.ac.uk/public/Papers/Principles_of_good_assessment_and_feedback.pdf (PDF, 135 Ko).

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Dans l’introduction d’un ouvrage paru il y a un peu plus de 10 ans, Bernadette Noël et Philippe Parmentier proposaient une réflexion sur les nouvelles compétences et stratégies d’étude que les étudiant-e-s devaient développer lors de leur entrée dans l’enseignement supérieur. Pour eux/elles, beaucoup de choses changent: la vie sociale, les locaux scolaires, la relation avec les enseignant-e-s, la relation avec leurs collègues étudiant-e-s, etc. Et du point de vue des études, on passe d’un encadrement proche à très peu d’encadrement, d’une grande précision des consignes de travail à un ensemble d’informations parfois floues et sans cohérence d’un cours à l’autre.

Dans ce contexte de ruptures, passer du statut d’élève à celui d’étudiant, c’est changer de rôle social mais, c’est aussi nécessairement changer ses manières d’apprendre. L’étudiant-apprenant ne peut se satisfaire des routines et stratégies qu’il a mises en place tout au long de ses études secondaires. Pour répondre pleinement aux exigences d’une formation universitaire, notre hypothèse est que l’étudiant-apprenant doit au minimum considérer l’exécution de toute tâche d’apprentissage comme un acte intentionnel et personnel, s’inscrivant dans la réalisation d’un projet à plus long terme. En outre, pour être efficace, cet étudiant-apprenant doit adopter une approche stratégique de l’apprentissage, c’est-à-dire adopter des comportements adaptés aux exigences, souvent changeantes et implicites, du contexte académique auquel il est confronté. La perception que l’étudiant a de lui-même et du contexte est une dimension-clé du processus (Noël & Parmentier, 1997, p. 12).

Bien sûr, l’enseignement secondaire de second cycle (post-obligatoire en Suisse) est censé apporter à ces étudiant-e-s un certain nombre de compétences comme la prise de notes, l’étude de grandes quantités de matière, la synthèse, la présentation orale de travaux, la rédaction de réponses élaborées à des questions complexes, etc. Mais le changement reste assez rude pour bon nombre d’étudiant-e-s.

Bien sûr aussi, l’autonomie dans l’étude est une compétence clé que les étudiant-e-s doivent progressivement développer. Mais n’est-ce pas aussi dans une certaine mesure le rôle des enseignant-e-s de proposer des outils pour apprendre? Les recherches présentées dans ce livre montrent par exemple que les étudiant-e-s auront tendance à calquer leur façon d’apprendre sur la conception de l’enseignement que les enseignant-e-s mettent en oeuvre dans leurs cours. En d’autres mots, les étudiant-e-s développent des stratégies d’étude qu’ils/elles croient (à tort ou à raison) conformes aux exigences des enseignant-e-s. Les cours ex-cathedra auraient ainsi tendance à rendre les étudiant-e-s plus passif-ve-s alors que les cours où les étudiant-e-s sont amenés à discuter ou à collaborer développeraient chez eux/elles des compétences de questionnement et de réflexion.

Mais parmi les compétences-clés que les étudiant-e-s ont intérêt à développer pour réussir à l’université, c’est probablement la métacognition qui est la plus importante. La métacognition se rapporte de façon générale à la connaissance que nous avons de notre propre manière de fonctionner mentalement, en particulier de notre façon d’apprendre. La métacognition aide à développer ses propres stratégies d’apprentissage et d’étude. Pour aider les étudiant-e-s à développer cette compétence, une stratégie toute simple peut être de leur demander régulièrement (même anonymement par écrit) ce qu’ils/elles retiennent d’une séance de cours. Pour les étudiant-e-s, cela les aide à se poser la question au moins de temps en temps: que faut-il retenir de cette séance, quel était le message principal, que risque-t-on de me demander à l’examen, etc.? Pour l’enseignant-e, cela peut aider à savoir si les étudiant-e-s ont effectivement compris le message qu’il/elle voulait faire passer lors d’une séance, et de rectifier le message, le cas échéant, lors du cours suivant.

Noël, B., & Parmentier, P. (1997). Introduction. Dans M. Frenay, B. Noël, P. Parmentier, & M. Romainville (Éd.), L’étudiant-apprenant. Grilles de lecture pour l’enseignement universitaire (pp. 7-14). Bruxelles: De Boeck Université.

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Dans un article de 1995, Philippe Perrenoud résumait assez bien l’enjeu qui se situe derrière la notion de compétence:

Réussir à l’école n’est pas une fin en soi. Certes, chaque apprentissage prépare aux suivants dans le cursus scolaire. Mais au bout du compte, en principe, l’élève devrait être capable de mobiliser ses acquis scolaires en dehors de l’école, dans des situations diverses, complexes, imprévisibles. L’accent mis sur le réinvestissement des acquis scolaires répond à un souci d’efficacité de l’enseignement, d’adéquation plus grande des apprentissages scolaires aux situations de la vie au travail et hors travail.

Il pensait à ce moment aux écoles primaires et secondaires mais dans un autre article de 2005, il précisait sa pensée en ce qui concerne les universités:

Le débat est aussi d’actualité au sein de l’université, mais il se pose en d’autres termes. Lorsqu’elle forme des professionnels, l’université vise à l’évidence des compétences, même si ce concept n’est pas mis en avant, même si leur développement n’est pas achevé au moment d’obtenir le diplôme. Mais le débat est relancé tant par l’universitarisation de formations auparavant assumées par d’autres institutions que par le processus engendré par la  » Déclaration de Bologne « , qui vise à favoriser l’employabilité des titulaires de diplômes universitaires dès le Bachelor. Tout cela rouvre le débat sur les rapports entre la culture universitaire et le monde du travail. Ce débat n’est pas seulement technique, il est aussi idéologique. Se confrontent des visions différentes et parfois irréductibles de l’université dans ses rapports à la société.

Nommer les compétences que les étudiant-e-s développent au cours de leur parcours de formation universitaire, ce n’est donc plus s’intéresser uniquement à ce qu’ils ont pu emmagasiner comme savoirs ou savoir-faire (ce qui est décrit le plus souvent dans les objectifs) mais c’est aussi s’intéresser à ce qu’ils vont pouvoir en faire plus tard, une fois leurs études terminées, dans des situations professionnelles complexes et variées.

Réfléchir aux compétences paraît plus facile dans certains domaines: en médecine, en droit, en archéologie, en finance internationale, en biochimie, en psychologie clinique, etc. C’est a priori plus compliqué dans d’autres disciplines comme la philosophie, les sciences des religions, la sociologie ou la littérature comparée. Pourtant, dans ces disciplines dites « peu employables », les étudiant-e-s développent aussi des compétences comme des capacités d’analyse et de synthèse, la créativité, l’argumentation, la rigueur méthodologique, etc. …compétences bien utiles lorsqu’on recherche un emploi.

Il y a évidemment un lien entre connaissances et compétences: c’est grâce entre autres à des connaissances auxquelles on peut recourir que l’on peut développer des compétences complexes comme la collaboration ou la créativité. Les connaissances dites « de base » comme de la théorie, des définitions, l’application de formules, etc. restent indispensables. Quand on parle de compétence, on parle donc bien sûr de mise en oeuvre de connaissances (de divers types), de savoir-faire et de savoir-être dans des situations réelles complexes.

Très récemment, un rapport de l’OCDE, rédigé par F. Taddei, met en avant les compétences de créativité et d’autodidaxie qui devraient être promues dans les différents niveaux d’enseignement (le rapport en PDF).

Deux recommandations de ce rapport s’adressent en particulier à l’enseignement supérieur:

5) Recommandations for schools and deans

Encourage the creativity in your teachers and students, and provide them the means in terms of time, administrative help, and space to develop creative programs in which students can work on individual and collective projects. If these programs cannot be open to all initially, selection to enter them should be based on students’ motivation to take initiative and will to interact with creative  students and teachers.

6) Recommandations for universities

Encourage interdisciplinary approaches and the creation of academic programs that can allow students to launch projects and to develop their creativity. Create « creative spaces » dedicated to the development of student projects open 24/7/365. These spaces should be orgnaized as incubators for ideas and creative talents.

On arrive là à une forme du développement de compétences à l’université qui semble extrêmement éloignée de la logique disciplinaire et organisée en programmes qui prévaut depuis toujours. Pourtant, le cadre national de qualifications (une des dernières étapes du processus de Bologne) vise à partir de 2010 à progressivement adapter cette logique: plutôt que de décrire les formations supérieures uniquement en termes de programmes et de disciplines, il faudra en plus réfléchir aux compétences que ces formations visent à développer chez les étudiant-e-s, en fonction notamment du marché du travail vers lequel ces études les destinent. En pratique, ce qui sera modifié, c’est la description des programmes d’études qui seront présentés selon des « descripteurs d’acquis de formation » (c’est-à-dire des connaissances mais aussi des compétences ou learning outcomes) qui pourront être plus aisément comparés avec l’offre de formations d’autres institutions dans toute l’Europe. Mais quand on réfléchit à ce qu’on vise en donnant une formation, on s’oblige en même temps à réfléchir à l’articulation des différents cours (et donc disciplines) entre eux et à rendre transparents aux yeux des étudiant-e-s (et de leurs futur-e-s employeur-euse-s) les compétences qu’ils/elles vont développer tout au long de leur cursus. Et au bout du compte, on en viendra probablement à réfléchir davantage (ou en tout cas autrement) à la cohérence des programmes universitaires.

Perrenoud, P. (1995). Des savoirs aux compétences : de quoi parle-t-on en parlant de compétences ? Pédagogie collégiale, 9(1), 20-24.

Perrenoud, P. (2005). Développer des compétences, mission centrale ou marginale de l’université ? Genève, Congrès AIPU.

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En introduction d’un article écrit il y a déjà quelques années, Richard Felder, professeur en ingénierie, écrivait:

Hospitals would never require accountants to perform open-heart surgery – nor dermatologists, for that matter. If I drive across a bridge I can safely assume it was not designed by a civil engineer whose specialty was sewage treatment. We expect professionals to perform jobs for which they were trained: the idea of requiring them to perform every task in their field, regardless of their training and experience, is ludicrous and not subscribed to by any profession. Except college teaching.

Sur base de cette constatation, Felder critique essentiellement deux choses. La première est le mythe du ou de la « professeur-e super-héros/super-héroïne » qui mènerait de front une brillante carrière de chercheur-euse alliée à un « don » naturel pour l’enseignement. La seconde est la surenchère que certaines universités et facultés cherchent à imposer en organisant chaque année un teaching award décerné au ou à la meilleur-e professeur-e (sur base des évaluations par les étudiant-e-s, entre autres).

L’alternative qu’il proposait (en 1992! – publication en 1994) pour développer la qualité de l’enseignement dans les premières années des cursus (undergraduate courses) tenait essentiellement en cinq points, basés sur l’idée que des enseignant-e-s pourraient être spécifiquement en charge de ces cours:

  1. Develop and utilize innovative teaching methods, problems, projects, experiments, and case studies, and report these developments at meetings and conferences (e.g. annual and regional ASEE meetings) and in publications in the engineering education literature;
  2. Write undergraduate textbooks;
  3. Implement measures to increase the relevance of the undergraduate curriculum to engineering practice;
  4. Carry relatively heavy undergraduate teaching loads, including teaching undergraduate laboratories and design courses unless research faculty specifically request those courses;
  5. Demonstrate superior teaching performance, as measured by end-of-class student evaluations, retrospective senior and alumni evaluations, and peer evaluations.

Le développement de méthodes d’enseignement innovantes, l’évaluation systématique des cours… les dossiers ou portfolios d’enseignement, la mise en oeuvre de soutiens spécifiques pour le développement de projets pédagogiques, la reconnaissance de ces projets au même titre que les projets de recherche, la promotion de la formation et de la réflexion pédagogique, sont tous (ensemble, pas séparément) des facteurs de réussite pour le développement de la pédagogie à l’université.

Ceci peut paraître assez trivial maintenant que nous sommes en 2009, c’est vrai, mais au moins c’est écrit et expliqué avec humour dans l’article:

Felder, R. M. (1994). The myth of the superhuman professor. Journal of Engineering Education, 82(2), 105-110.

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Dans leur texte intitulé « La qualité en pédagogie universitaire » (1998), Marc Romainville et Elise Boxus citent neuf critères de qualité de l’enseignement universitaire tirés d’un livre de Peggy Nightingale et Mike O’Neil (1994) – désolé pour l’usage d’un langage non-épicène dans l’extrait ;-):

Pour Nightingale et O’Neil (1994), un enseignement universitaire de qualité:
1. Favorise le développement, chez l’étudiant, de qualités lui permettant un apprentissage en profondeur et promeut l’indépendance et l’autonomie, par exemple en multipliant notamment les situations d’apprentissage autonome (projets, travaux personnels, enquêtes personnelles, etc.).
2. Vise aussi à ce que l’étudiant se construise une solide base de connaissances, développe un esprit critique par rapport aux disciplines enseignées et à leurs méthodes, à ce que l’étudiant ait une bonne estime de soi, le « goût du savoir », l’envie d’apprendre encore après ses études et maîtrise un certain nombre de compétences méthodologiques et de traitement de l’information telle l’expression écrite, la capacité de distinguer l’essentiel de l’accessoire, etc.
3. Utilise l’expérience de l’étudiant comme une des ressources de l’apprentissage, notamment en faisant émerger les représentations naïves des concepts enseignés, en s’adaptant au niveau de connaissances des étudiants et en leur proposant des situations d’apprentissage issues de la vie quotidienne et/ou en relation avec leur future profession.
4. Vise à développer l’apprentissage actif et coopératif. L’apprentissage actif exige que l’étudiant exerce une activité mentale de haut niveau (compréhension en profondeur, réflexion, appropriation personnelle) durant les activités d’enseignement. L’apprentissage coopératif invite l’étudiant à développer ses compétences de relations sociales, par exemple via du tutorat, des discussions de groupe en séminaire, etc.
5. Vise à promouvoir la responsabilité de l’étudiant dans ses apprentissages, par exemple par la possibilité de négocier des parties de sa formation (contenu, parcours, mode d’évaluation) en fonction de son projet personnel.
6. S’intéresse au développement global de l’étudiant, donc tout autant à ses attitudes (confiance en lui, capacité à prendre des risques…) et à ses valeurs qu’à son développement intellectuel.
7. Veille à diversifier les modes d’évaluation en privilégiant ceux qui sont en congruence avec les objectifs de l’enseignement et ceux qui encouragent un apprentissage en profondeur.
8. Met en place des dispositifs pour analyser et réguler la formation offerte notamment à l’aide des avis des étudiants et de collègues.
9. Se réalise dans des conditions environnementales, physiques et sociales appropriées: accès aux bibliothèques et aux technologies de l’information, équipement des salles de cours en moyens didactiques, etc.

Romainville, M., & Boxus, E. (1998). La qualité en pédagogie universitaire. Dans D. Leclercq (Éd.), Pour une pédagogie universitaire de qualité (pp. 13-32). Sprimont: Mardaga. 

Nightingale, P., & O’Neil, M. (1994). Achieving Quality Learning in Higher Education. Routledge.

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