Une de mes activités actuelles est de préparer avec quatre collègues une journée de formation à propos des usages des technologies pour l’enseignement et l’apprentissage. Celle-ci a lieu pour la première fois à la fin de ce mois. Je vais donc probablement parler un peu de technologies dans mes prochains articles.
J’ai trouvé une citation qui résume assez bien pourquoi nous avons donné une orientation spécifique à cette formation (Deaudelin, Brodeur et Dussault, 2001, p. 189).
Au cours des dernières années, la plupart des universités ont mis sur pied des activités de formation à l’intention de leur personnel. Cette formation présente deux limites: l’une a trait à la nature des activités et l’autre, à l’investissement consenti. En ce qui concerne la nature des activités, il s’agit le plus souvent d’activités ponctuelles de formation où la maîtrise de l’outil occupe souvent une place plus importante que le développement de pratiques d’enseignement exploitant de façon judicieuse les TIC à des fins d’apprentissage. Quant à l’investissement consenti, par les universités, Harasim (1999) soutenait encore récemment « qu’il n’y a actuellement pratiquement pas d’investissement important et systématique en regard de la formation sur la plupart des campus où les enseignants donnent des cours en direct. Il s’agit peut-être là de la faiblesse la plus importante dans la chaîne d’investissements pour la réussite » (p. 22).
Par ailleurs, à notre connaissance, les activités de formation mises sur pied jusqu’à présent exploitent peu la recherche dans le domaine de la pédagogie.
Dans la suite de leur texte, ces deux chercheuses et ce chercheur étaient plus ambitieuses-eux que nous (en 2001!) puisqu’il/elles proposaient de changer les conceptions des enseignant-e-s en les invitant à s’impliquer dans des projets collectifs de développement des usages pédagogiques des technologies… Plus modestement, mais tout en adhérant à leur constat, nous avons axé notre formation autour de trois idées principales:
- partir des attentes, des questions et des projets des participant-e-s. Le but principal est qu’à la fin de la journée, ils/elles aient en main un scénario d’usage d’une ou plusieurs technologies à intégrer dans un de leurs cours. Du temps sera consacré à un travail individuel accompagné (puisque nous sommes 5 animateurs et animatrice…).
- présenter des exemples variés d’usages des technologies qui soient à la portée de tout le monde en expliquant les choix pédagogiques des enseignant-e-s quand ils/elles en organisent dans leurs cours. D’expérience, je sais que cela rassure beaucoup les participant-e-s de voir qu’il ne faut pas nécessairement trois ans, trois assistant-e-s et trois informaticien-ne-s pour mettre en place des activités intéressantes.
- prendre le temps de discuter, de se présenter l’un-e à l’autre ses idées et son projet de scénario, de se questionner, de se critiquer. D’expérience encore, je sais que la plupart des participant-e-s apprécient recevoir du feedback de la part de collègues et être confronté-e aux idées d’autres enseignant-e-s venant d’autres disciplines.
De plus, cette journée sera liée à la formation pédagogique que nous donnons déjà depuis plusieurs années à Lausanne. Un rappel général (et court) des principaux concepts sera proposé en début de séance. Par ailleurs, les questions plus techniques ou plus spécifiques pourront être traitées individuellement avec les ingénieur-e-s pédagogiques de l’UNIL après la formation.
De façon plus générale, une question qui peut être posée aussi à propos des usages des technologies pour l’enseignement et l’apprentissage à l’université est celle des rôles et des compétences que les enseignant-e-s sont amené-e-s à développer pour ce faire. Selon Alvarez, Guasch et Espasa (2009), ces compétences sont souvent très implicites. Pour ces trois chercheuses de l’Université Ouverte de Catalogne, les compétences nécessaires ne sont pas liées seulement à la maîtrise de l’usage des technologies mais bien plus à la résolution de questions pédagogiques et à la conception de dispositifs et d’activités d’apprentissage en mode hybride (= qui alterne des moments d’apprentissage en présence et à distance). Afin d’identifier les rôles et les compétences des enseignant-e-s pour le développement d’usages pédagogiques des technologies, elles ont procédé en trois temps: analyse de la littérature, examen de la description de programmes de formation pour enseignant-e-s et discussions en focus groups avec 101 enseignant-e-s universitaires.
D’emblée, elles ont remarqué que ce que proposent les programmes de formation n’est pas toujours en phase avec les attentes des enseignant-e-s. Pour ceux/celles-ci, il y a surtout un besoin de se rassurer par rapport à leurs propres compétences d’enseignement et de conduite de groupes d’apprenant-e-s alors que bien souvent, les formations à l’usage pédagogique des technologies s’axent principalement sur les méthodes de planification et de design de l’enseignement. Par ailleurs, au sein des focus groups, les enseignant-e-s pointaient le besoin pour eux/elles de pouvoir prendre le temps de discuter avec des collègues de leurs idées d’activités pédagogiques intégrant l’usage de technologies et notamment aussi le fait que développer de tels usages impliquait de travailler et dialoguer avec d’autres acteur-trice-s comme un-e conseiller-ère pédagogique ou un-e spécialiste en technologies.
Finalement, les auteures de l’article identifient cinq grands rôles des enseignant-e-s liés aux usages pédagogiques des technologies. Certains de ces rôles sont très généraux et s’appliquent à toute forme d’enseignement mais les compétences qu’il faut maîtriser pour les mettre en œuvre prennent une dimension particulière lorsqu’elles portent sur l’usage des technologies.
- Rôle de design et de planification: il s’agit d’organiser des activités d’apprentissage, de créer des contenus de cours adaptés, de proposer aux étudiant-e-s des ressources d’apprentissage, etc.
- Rôle social d’interaction et de communication à distance avec les étudiant-e-s pour préciser des consignes, renforcer, distiller un climat positif pour l’apprentissage, soutenir la collaboration entre étudiant-e-s, etc.
- Rôle « cognitif »: il s’agit de la guidance dans l’apprentissage par rapport aux matières abordées, de la gestion de l’évaluation formative ou sommative, du tutorat des étudiant-e-s dans des activités partiellement organisées à distance, etc.
- Rôle relevant du domaine technologique: ceci est lié à la maîtrise des fonctionnalités d’un environnement virtuel d’apprentissage et de l’aide apportée aux étudiant-e-s à ce propos.
- Rôle relevant du domaine de la gestion: il s’agit autant de la gestion des activités en cours de formation que de la gestion des flux d’informations destinées aux ou en provenance des étudiant-e-s.
Pour développer ces rôles et ces compétences, les chercheuses insistent sur le fait qu’ils sont socialement construits: à l’université, il y a besoin de discuter de pédagogie, que ça soit d’ailleurs lié aux usages des technologies ou non. Elles proposent donc de développer des formations qui soient basées sur les projets personnels des participant-e-s et sur la réflexion et la discussion en groupe. Elles voient dans cette manière de procéder une solution possible pour l’intégration d’innovations pédagogiques dans l’enseignement supérieur.
Voici donc le concept de la formation que nous préparons. Il sera mis en œuvre à la fin de ce mois. J’en redonnerai des nouvelles après son évaluation par les participant-e-s.
Alvarez, I., Guasch, T., & Espasa, A. (2009). University teacher roles and competencies in online learning environments: a theoretical analysis of teaching and learning practices. European Journal of Teacher Education, 32(3), 321-336.
Deaudelin, C., Brodeur, M., & Dussault, M. (2001). Stratégie de développement professionnel visant l’intégration des TIC à la pédagogie universitaire. Dans T. Karsenti & F. Larose (Éd.), Les TIC… au cœur des pédagogies universitaires (pp. 187-208). Québec: PUQ.
Merci pour l’intéressante réflexion sur la manière d’intégrer les TIC dans l’enseignement universitaire!
Et que penseriez-vous de l’idée d’une « personne-ressource », enseignant également, qui puisse accompagner les professeurs dans la mise sur pied d’une activité intégrant les TIC? Non seulement un accompagnement lors d’une journée de formation, mais lors de la mise en oeuvre complète du projet?
Cette idée existe et se développe avec des résultats très positifs dans l’enseignement primaire, secondaire et il me semble que c’est un bon moyen de permettre aux enseignants de concrétiser un projet TIC directement dans leurs cours.
Est-ce que cette sorte d’appui existe déjà à l’Université de Lausanne?
Bonjour Gabriel,
Effectivement, la mise en place de personnes-ressources qui peuvent répondre aux questions et accompagner les enseignant-e-s dans leurs projets est très importante à l’échelle d’une institution qui veut instaurer une culture de l’usage des technologies dans les cours. A l’UNIL, il y a une personne-ressource par faculté. Ce sont les ingénieur-e-s pédagogiques regroupés dans le RISET (http://www.unil.ch/riset ). Leur mission est justement d’accompagner les enseignant-e-s, que ce soit pour des petits ou des grands projets.
En matière de politique institutionnelle, il y a d’autres stratégies qui sont développées aussi ici à l’UNIL comme le financement de projets d’innovation pédagogique (http://www.unil.ch/fip ), l’organisation d’ateliers de formation, etc. Ce sera d’ailleurs l’objet d’un prochain article sur ce blog.
Merci Amaury pour ces informations! Quel temps l’ingénieur pédagogique a-t-il a disposition pour accompagner les profs et combien de profs en moyenne ont-ils « à leur charge »?
En fait, le mieux est de consulter le site dont Emmanuel parle (RISET). Actuellement, il y a 6 ingénieur-e-s pédagogiques, presque un-e par faculté et une coordinatrice. C’est un investissement certain pour l’université. Pour connaître le nombre d’enseignant-e-s qu’ils/elles accompagnent, vous pouvez consulter la « vitrine des projets » sur le site. Ces projets sont très variés en ampleur et en durée.
En effet Gabriel,
Les ingénieurs pédagogiques sont « ces ressources » qui font le lien entre la technologie et la pédagogie pour les enseignants de l’université de lausanne.
Le détail sur le site du RISET (http://www.unil.ch/riset ).
Mais contrairement à une idée fort courante, les ingénieurs pédagogiques ne sont pas des techniciens (« technos ») mais aident plutôt les enseignants a concevoir des scénarios pédagogiques intégrant ou non les technologies. La technologie n’est qu’un levier parmi d’autres, pour initier une réflexion principalement pédagogique…
Merci pour ce partage d’informations! Je suis allé voir du côté du RISET, c’est un service tout à fait intéressant. J’imagine que les profs de l’uni doivent être contents de disposer de ce soutien!
[…] formation aux usages des technologies que nous avons organisée avec mes collègues récemment (et dont j’ai déjà parlé ici), nous avons repris cette typologie et l’avons un peu adaptée pour être plus spécifique à […]