Lors d’activités de formation avec des enseignant-e-s ou des assistant-e-s, il y a un sujet de discussion qui est souvent abordé mais qu’on n’arrive jamais à bien traiter parce qu’on n’en connaît pas bien la portée et qu’on se sent un peu impuissant-e face aux questions qu’il soulève. Il s’agit du fait que dans beaucoup de cours à l’université, de plus en plus d’étudiant-e-s viennent accompagné-e-s de leur ordinateur portable… Les personnes qui abordent ce sujet se sentent un peu dérangées par ce phénomène quand elles donnent cours en auditoire: que font les étudiant-e-s exactement? sont-ils/elles en train de prendre des notes, de consulter le site du cours, de répondre à leurs mails, de lire le journal, de ‘chatter’ avec un-e ami-e ou de mettre à jour leur profil facebook? sont-ils/elles attentif-ve-s à ce que l’enseignant-e dit ou fait? sont-ils/elles attentif-ve-s si d’autres étudiant-e-s font une présentation?… Bref, cela met mal à l’aise certain-e-s enseignant-e-s.
Par ailleurs, on entend aussi certain-e-s étudiant-e-s déclarer que cela ne leur pose pas de problème d’accomplir deux tâches en même temps (voire plus) comme rédiger un email en écoutant un-e enseignant-e parler, étudier en écoutant de la musique, lire un article scientifique et répondre à des messages instantanés, etc. Certain-e-s se considèrent presque comme appartenant à une nouvelle génération d’apprenant-e-s « multi-tâches » capables de réaliser plusieurs choses en même temps de façon efficace.
Mais quel est le problème exactement? Il semble surtout que les représentations de certain-e-s enseignant-e-s ne sont pas compatibles avec celles de leurs étudiant-e-s. D’un côté, les premier-ère-s s’imaginent que pour étudier et travailler efficacement sur une tâche, il faut être concentré-e exclusivement sur cette tâche. De l’autre côté, les second-e-s considèrent qu’il est tout à fait possible d’être efficace quand on est sollicité-e par différentes informations en même temps. Qu’en est-il exactement? C’est à cette question qu’ont tenté de répondre par une étude expérimentale récente quatre chercheur-e-s américain-e-s (Bowman, Levine, Waite & Gendron, 2010).
Bowman et ses collègues se sont en particulier intéressé-e-s à l’usage des messageries instantanées par les étudiant-e-s. Leur revue de littérature paraît tout d’abord sans appel tant tous les résultats de recherche semblent aller dans le même sens: malgré que certain-e-s étudiant-e-s prétendent le contraire, travailler sur plusieurs tâches en même temps est en général préjudiciable à l’accomplissement de chacune des tâches et à la concentration. Par exemple, utiliser une messagerie instantanée tout en réalisant une tâche académique a, selon les études consultées, un impact négatif sur la performance et sur l’attention. En outre, la messagerie instantanée a ceci de particulier qu’elle distrait non seulement lorsqu’il faut écrire un message mais en plus lorsque le cerveau est « en attente » d’un message qui « va arriver ». La distraction est donc continue. Par ailleurs, passer d’une tâche à une autre demande souvent un temps de réaction important au moment où l’on se remet à travailler sur une des deux tâches: il faut se reconcentrer et se rappeler de quoi il s’agissait avant de s’y mettre.
Plusieurs explications à la difficulté de travailler sur plusieurs tâches en même temps sont avancées dans les recherches citées. Une des plus plausibles semble être le fait qu’en mode « multi-tâche », plusieurs zones du cerveau doivent être activées et cela prend davantage de temps pour traiter les informations reçues et accomplir les différentes tâches.
Beaucoup d’études sur le sujet ont exploré les effets de la télévision sur l’attention mais très peu ont testé expérimentalement les effets de l’usage de messageries instantanées. C’est pourquoi Bowman et ses collègues ont réparti en trois groupes 89 étudiant-e-s de première et deuxième année d’université provenant de différentes facultés. Dans le premier groupe, les étudiant-e-s devaient répondre à des messages instantanés avant de se lancer dans une tâche de lecture d’un texte scientifique à l’écran. Dans le second groupe, ils/elles recevaient et répondaient à des messages pendant leur lecture. Dans le dernier groupe, aucun message instantané ne leur était envoyé mais ils/elles étaient prévenu-e-s qu’il était possible qu’ils/elles en reçoivent. Selon les étudiant-e-s eux/elles-mêmes, les messages envoyés par les chercheur-e-s étaient suffisamment réalistes et proches d’une vraie conversation qu’ils/elles pourraient avoir avec un-e ami-e. Par ailleurs, deux tiers environ des étudiant-e-s ont déclaré au début de l’étude qu’ils/elles rédigeaient et recevaient souvent des messages instantanés en étudiant.
Les résultats ne confirment qu’en partie les hypothèses. D’une part, comme attendu, les étudiant-e-s qui recevaient et répondaient à des messages pendant la tâche ont pris davantage de temps que les autres pour la réaliser. Ce sont les étudiant-e-s du groupe qui avait reçu des messages avant la tâche qui ont travaillé le plus rapidement, probablement grâce au fait qu’une fois avoir reçu et répondu aux messages, ils/elles savaient qu’ils/elles ne seraient plus dérangé-e-s ensuite. D’autre part, et c’est plus surprenant, aucune différence significative entre les trois groupes n’a été observée en ce qui concerne les performances au test final à propos de la lecture du texte. Mais aucune contrainte de temps n’avait été donnée aux étudiant-e-s pour lire le texte…
Au final, l’étude se révèle intéressante mais ne propose aucun conseil ni aux étudiant-e-s en matière de méthodes de travail, ni aux enseignant-e-s en matière d’animation de groupes. Il me semble pourtant que plusieurs pistes pourraient être retirées de cette réflexion. Pour les étudiant-e-s, il s’agit comme toujours de réfléchir à son organisation personnelle dans son travail de manière à pouvoir être concentré à certains moments sur des tâches académiques et se laisser du temps par ailleurs pour la détente. Une ressource assez connue sur le sujet est le livre de Marc Romainville (1993) Savoir parler de ses méthodes: métacognition et performance à l’université qui propose un travail de réflexion personnelle sur ses méthodes d’apprentissage pour développer l’autonomie des étudiant-e-s. Pour les enseignant-e-s, une question centrale me semble être celle de l’organisation des activités d’apprentissage des étudiant-e-s. Quelles sont les raisons pour lesquelles les étudiant-e-s flânent sur leur ordinateur plutôt que d’être attentif-ve-s au cours? La question peut paraître provocante mais il y a peut-être lieu de réfléchir à des méthodes d’animation de cours qui mettent davantage les étudiant-e-s en activité: lectures, questions-réponses, discussions par paires ou en groupes, réflexions individuelles, etc. peuvent se marier très bien avec des moments de présentation d’informations. Ces activités pourraient même recourir à certains moments à l’usage d’un ordinateur portable en classe, par exemple pour un travail de groupe ou pour initier des discussions virtuelles ou des activités de production de documents qui se prolongeront en dehors de la classe. La question n’est donc plus « pourquoi est-ce que les étudiant-e-s ne sont pas attentif-ve-s à mon cours? » mais « quelles activités puis-je proposer aux étudiant-e-s pour qu’ils/elles développent leur autonomie, leur proactivité et leur motivation par rapport à leur apprentissage? ».
Bowman, L. L., Levine, L. E., Waite, B. M., & Gendron, M. (2010). Can students really multitask? An experimental study of instant messaging while reading. Computers & Education, 54(4), 927-931. doi:10.1016/j.compedu.2009.09.024
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