« L’erreur, un outil pour enseigner » est un petit livre de Jean-Pierre Astolfi paru pour la première fois en 1997 et réédité régulièrement depuis. A la base de cet ouvrage, une question toute simple: quel est le statut de l’erreur dans l’enseignement? Traditionnellement, l’erreur est plutôt vue comme quelque chose qu’il faudrait éliminer voire sanctionner chez les étudiant-e-s. Il faudrait donc repérer les erreurs (de connaissance, de compréhension, de calcul, etc.) et les corriger. Mais repérer les erreurs n’est pas toujours facile et les considérer comme étant constitutives de tout apprentissage encore moins. Par exemple, si l’on s’attend en tant qu’enseignant-e à ce que les étudiant-e-s comprennent rapidement une notion « simple », on oublie parfois que ce qui nous paraît « simple » ne l’est devenu qu’après un long parcours d’études universitaires que nous avons suivi… Ou si l’on s’attend à un certain niveau de qualité dans les travaux écrits ou oraux des étudiant-e-s, on ne s’interroge pas toujours sur le fait que nos consignes de travail ne sont pas nécessairement très claires pour un-e débutant-e dans notre discipline (ne fût-ce que par le vocabulaire utilisé). Il y aurait donc selon Astolfi une tendance des enseignant-e-s à « nier » les erreurs des étudiant-e-s et à y remédier par des solutions pas toujours adaptées (en sanctionnant ou en faisant refaire par exemple).
En réalité, comme le rappelle Astolfi (p. 20), le sens étymologique de l’erreur est « errer ça et là« . Vu de façon péjorative, on retrouve là le sens d’incertitude, d’ignorance, voire d’hérésie. Mais « comment ne pas errer quand l’on ne connaît pas déjà le chemin? Si quelqu’un nous le désigne, nous pouvons bien sûr éviter grâce à lui l’errance temporaire, mais nous savons bien que la première fois que nous serons seul, nous n’éviterons pas d’avoir à nous approprier, en première personne, ce qui faisait jusque-là l’objet du guidage » (Astolfi, 2009, p. 20).
Astolfi explique ensuite le statut de l’erreur dans l’apprentissage. Se confronter à des difficultés, à des défis, à des opinions variées, à des « errances » passagères constitue un véritable moteur pour l’apprenant-e qui est amené-e à rechercher de l’information, à s’approprier des matières scientifiques, à se questionner de façon autonome, etc. Si à chaque erreur ou hésitation, la seule réponse qu’il/elle reçoit est une sanction, il y a peu de chance qu’il/elle persévère longtemps dans ses études universitaires… Ainsi, pour aider à diagnostiquer l’origine de différents types d’erreurs des étudiant-e-s, l’auteur propose un tableau (pp. 96-97) dont je m’inspire ci-dessous. Pour chaque type d’erreur, j’ai adapté quelques reméditations possibles pour l’enseignement supérieur. L’idée de ce tableau est donc de s’interroger d’abord sur l’origine possible d’une difficulté ou d’une erreur d’un-e étudiant-e et de considérer ensuite les pistes de remédiations possibles pour (l’aider à) y remédier.
Nature du diagnostic |
Remédiations possibles |
1. Erreurs relevant de la rédaction ou de la compréhension des consignes de travail | Il est possible de vérifier la lisibilité du syllabus de cours ou des consignes de travail fournies aux étudiant-e-s en discutant avec un-e collègue par exemple. Une meilleure lisibilité peut aussi être atteinte en rédigeant des phrases courtes ou en étant très clair-e sur les étapes à suivre, les délais à respecter ou les critères d’évaluation.
Discuter avec les étudiant-e-s à propos des consignes de travail permet souvent de dégager rapidement les incompréhensions et d’y remédier. |
2. Erreurs résultant d’habitudes scolaires préalables ou d’un mauvais décodage des attentes | Pour les étudiant-e-s de première année, il n’est pas toujours facile de comprendre comment fonctionne un cours universitaire, ce qui est attendu de la part de l’enseignant-e, le vocabulaire nouveau à maîtriser, etc. Préciser les attentes ou le fonctionnement de base d’un enseignement s’avère souvent utile, même pour des aspects qui semblent « aller de soi » pour quelqu’un qui a un long parcours universitaire derrière lui/elle. Cela peut par exemple toucher aux attentes en ce qui concerne la participation aux discussions en classe, à la structure des travaux écrits à remettre, à la façon de prendre des notes aux cours magistraux, aux attentes en matière de qualité des travaux, etc. Ces attentes peuvent être présentées et discutées avec les étudiant-e-s. |
3. Erreurs témoignant des conceptions alternatives des étudiant-e-s | Les jeunes étudiant-e-s universitaires ont souvent des représentations préalables à propos de notions scientifiques. Ces représentations sont issues de leurs cursus précédents ou d’idées préconçues partagées largement dans le public. L’exemple typique donné par Astolfi est celui de la structure du système digestif humain. Peu d’étudiant-e-s ont une vision scientifique de ce sujet. La plupart ont une vision mécanique de « tuyaux » et d’organes qui sont reliés entre eux mais pas de connaissances biologiques ou chimiques liées à la digestion. Les erreurs des étudiant-e-s peuvent provenir de ce type de connaissances préalables et les conduire à des incompréhensions face aux théories ou aux notions qui leurs sont présentées à l’université.
Pour cela, il est intéressant de laisser la place à l’expression de ces représentations erronées et d’organiser des discussions en classe pour que les étudiant-e-s fassent évoluer leurs schémas mentaux. Bien sûr, il serait très simple d’expliquer clairement aux étudiant-e-s que leurs représentations sont fausses mais, comme je l’ai déjà expliqué par ailleurs, il n’est pas toujours simple de faire évoluer les mentalités et de convaincre des adultes. Pour cela, la discussion est souvent plus efficace que le simple transfert d’informations, même claires et exactes. |
4. Erreurs liées aux opérations intellectuelles impliquées | L’erreur peut provenir d’une généralisation abusive des étudiant-e-s. Par exemple, ils/elles peuvent essayer de résoudre un exercice en reproduisant une méthode déjà vue auparavant mais non-adaptée dans ce cas précis. Ils/elles ont à apprendre que tous les problèmes ou tous les exercices ne se résolvent pas toujours de la même façon.
Pour améliorer cela, plusieurs stratégies peuvent être envisagées:
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5. Erreurs portant sur les démarches ou les stratégies adoptées | Il arrive que ce qu’on croit être une erreur témoigne en fait d’une démarche originale de la part de l’étudiant-e. Il/elle a simplement élaborer une nouvelle stratégie ou a fait preuve d’originalité dans ses réponses… et on ne s’y attendait pas.
Une solution intéressante dans ce cas est de demander aux étudiant-e-s d’expliciter leur stratégie de réponse et le cas échéant de préciser en quoi cette stratégie s’écarte plus ou moins de la stratégie « canonique ». Il peut être aussi intéressant d’organiser une discussion entre les étudiant-e-s pour qu’ils/elles s’expliquent mutuellement comment ils/elles ont trouvé une solution au problème posé ou ont résolu l’exercice. |
6. Erreurs dues à une surcharge cognitive | Les erreurs peuvent aussi être simplement dues à une surcharge de travail, les étudiant-e-s réalisent alors leur travail beaucoup trop vite sans se préoccuper de sa qualité.
Au moment de la conception des consignes de travail, il est souvent important d’essayer d’estimer le temps de travail requis pour le réaliser. Même si cette estimation n’est pas toujours facile, il est possible de demander aux étudiant-e-s si elle paraît réaliste. Il peut aussi s’avérer opportun de diviser le travail en plusieurs parties ou de proposer aux étudiant-e-s un échéancier où il leur est demandé de rendre certaines parties du travail. |
7. Erreurs ayant leur origine dans une autre discipline | Il arrive parfois qu’on s’attende de la part des étudiant-e-s à ce qu’ils/elles transfèrent dans un cours ce qu’ils/elles ont appris dans un autre cours, par exemple entre la physique et les mathématiques ou entre la sociologie et les sciences de l’éducation. Cette attente de transfert est légitime de la part des enseignant-e-s mais elle se heurte à certaines difficultés. Un problème de mathématique n’est pas un problème de physique et une réflexion pédagogique n’est pas forcément une réflexion sociologique, même si les formules ou les méthodes sont les mêmes. Et bien des étudiant-e-s ne font les liens que si on les leur explicite clairement.
Pour parer à ces difficultés, il est utile de montrer aux étudiant-e-s les différences et les points communs de la discipline qu’on enseigne avec les autres disciplines abordées par les étudiant-e-s dans leur programme. Si des exercices ou des travaux pratiques sont organisés dans le cours, il peut être intéressant d’en proposer qui ont des liens clairs avec d’autres disciplines. De même, amener les étudiant-e-s à réfléchir par eux/elles-mêmes aux différences entre disciplines ou aux méthodes de résolution de problèmes dans différentes disciplines peut être très formateur. Ceci peut se faire en proposant par exemple aux étudiant-e-s un examen ou un travail écrit intégré (c’est-à-dire portant sur la matière de plusieurs cours), où les étudiant-e-s doivent montrer qu’ils/elles sont capables de faire des liens entre plusieurs cours. |
8. Erreurs causées par la complexité propre du contenu | Certains contenus disciplinaires sont aussi très complexes et des erreurs ou des incompréhensions peuvent survenir par exemple si les étudiant-e-s ne comprennent pas bien un concept qui est important pour comprendre la suite ou s’ils/elles ne voient pas les liens entre différents concepts, ou s’ils/elles ne comprennent pas la progression logique dans la matière, etc.
Il est important alors de rendre la structure du cours la plus apparente possible. Il est utile aussi d’identifier les points de matière les plus ardus et de proposer aux étudiant-e-s des explications ou des exercices complémentaires les concernant. |
Dans cet article, j’ai voulu attirer l’attention sur les difficultés d’apprentissage des étudiant-e-s. Et sur le fait que les difficultés existent toujours, même chez les étudiant-e-s les plus brillant-e-s. En même temps, ce n’est pas une fatalité et en tant qu’enseignant-e, nous avons un rôle (bien plus grand qu’on ne le pense) à jouer pour les aider à les surmonter.
Astolfi, J.-P. (2009). L’erreur, un outil pour enseigner (9 éd.). Issy-les-Moulineaux: ESF éditeur.
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Ce blog est décidément bien extraordinaire. Vous y répondez ainsi souvent aux questions qui me préoccupent de plus en plus. Ce qui est réconfortant, c’est que j’y retrouve souvent des réflexions que je me suis faites, mais en plus élaboré. Et surtout il y a aussi beaucoup de points de vues nouveaux et solidement argumentés 🙂
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[…] Enseigner grâce aux erreurs des étudiant-e-s. 26 septembre 2011 par Amaury Daele « L’erreur, un outil pour enseigner » est un petit livre de Jean-Pierre Astolfi paru pour la première fois en 1997 et réédité régulièrement depuis. A la base de cet ouvrage, une question toute simple: quel est le statut de l’erreur dans l’enseignement? Traditionnellement, l’erreur est plutôt vue comme quelque chose qu’il faudrait éliminer voire sanctionner chez les étudiant-e-s. Il faudrait donc repérer les erreurs (de connaissance, de compréhension, de calcul, etc.) et les corriger. Mais repérer les erreurs n’est pas toujours facile et les considérer comme étant constitutives de tout apprentissage encore moins. En réalité, comme le rappelle Astolfi (p. 20), le sens étymologique de l’erreur est « errer ça et là« . Astolfi explique ensuite le statut de l’erreur dans l’apprentissage. […]
[…] Nous devons cette œuvre à la Maison du Val Caron de Courbevoie (92). Cette affiche a été réalisée par les enfants du centre de loisirs de la Maison du Val Caron à Courbevoie (Hauts-de-Seine), accompagnés par un animateur spécialisé Erwan Jezequel, dit « Wire » (graphiste et illustrateur). Dix enfants, ayant de six à onze ans, se sont impliqués dans ce projet artistique, qui a utilisé différentes techniques : acrylique, encres et crayons sur papier. Cette affiche représente un petit garçon aux pieds nus tenant son doudou dans la main, en train d’écrire un message fort, sans doute à l’intention des adultes, sur ce mur d’expression où des enfants de tous âges ont inscrit, dessiné et gravé des mots symbolisant leurs droits : éducation, protection, loisirs, culture, vivre ensemble, santé, liberté… Enseigner grâce aux erreurs des étudiant-e-s. […]