Pour contribuer davantage à la réflexion sur l’innovation pédagogique à l’université suite à la précédente note sur le sujet, j’aimerais proposer en lecture quelques extraits du livre de Brigitte Albero, Monique Linard et Jean-Yves Robin intitulé « Petite fabrique de l’innovation à l’université » paru en 2008.
Je précise d’emblée que je trouve ce livre vraiment remarquable à plusieurs points de vue. D’abord par son approche en profondeur du sens et du vécu de l’innovation pédagogique à l’université par quatre enseignant-e-s. Ensuite par sa méthodologie où les interviews et la démarche longitudinale contribuent vraiment à comprendre l’innovation, comment elle se construit au quotidien au sein d’une institution. Et enfin par son style d’écriture: j’ai envie de dire que ça se lit comme un roman, ou comme un grand reportage. C’est très accessible pour un large public mais en même temps, les nombreuses notes de bas de page permettent de connaître le contexte ou de donner des références complémentaires.
Je prends juste trois extraits. J’aurais pu en prendre d’autres mais pour moi, ils sont significatifs de la réalité quotidienne de l’innovation pédagogique. Celle-ci, contrairement à ce qu’on croit souvent, ne « s’invente » pas un beau jour par un-e enseignant-e qui a tout à coup une « idée géniale ». Non, il s’agit plutôt d’une construction, d’une fabrication artisanale, quotidienne et patiente qui se nourrit de différentes expériences préalables.
Ainsi qu’il a été constaté, les interviewés entretiennent un rapport paradoxal aux technologies et à leur activité: en ce qui concerne l’innovation, ils ne se définissent pas spontanément comme des innovateurs; pour ce qui est des technologies, ils en parlent peu, alors qu’elles sont au cœur des dispositifs qu’ils ont mis en place; quant à leur activité, ils la déploient selon une logique entrepreneuriale qui tend, alors même qu’ils s’en défendent, vers une certaine forme d’industrialisation de la formation universitaire. (p. 171)
Ce premier extrait pourrait en choquer plus d’un-e… Pas par le fait que l’innovation ne vient manifestement pas de l’usage de nouvelles technologies, ou en tout cas pas directement. Mais plutôt par le fait que la logique de l’innovation est l’adaptation à un contexte qui évolue. Et le contexte de l’université évolue effectivement. Avec davantage d’étudiant-e-s, qui ont des compétences et des motivations préalables très variées, qui sont issu-e-s de milieux socio-économiques de plus en plus diversifiés, etc. Les innovations pédagogiques cherchent apparemment à s’adapter à ce contexte, à la fois en tenant compte du grand nombre mais en même temps de la diversité des étudiant-e-s. Et c’est un fameux défi que de s’adapter à un grand nombre en même temps que de s’adapter aux besoins particuliers de chacun-e…
Ce second extrait confirme ce qui vient d’être dit:
Les interviewés partagent explicitement une vision et une conception précise de leur mission d’enseignants. Ils affirment de façon réitérée une même vision professionnelle qui consiste à se mettre aussi bien au service d’un public particulier d’étudiants que du public plus général, ensemble de tous ceux qui souhaitent s’instruire et se former. Ils décrivent ainsi, en creux, le rôle et la place qu’occupe pour eux l’université dans le système social: un lieu ouvert de formation intellectuelle et culturelle qui doit trouver des solutions pratiques au difficile problème de l’enseignement de masse individualisé. (p. 166)
Et finalement, quelle est la fonction de l’innovation pédagogique à l’université? C’est de s’adapter à un contexte changeant, oui, mais c’est aussi bien plus que ça:
Plus largement, l’analyse compréhensive montre qu’en tant que transformation à visée améliorative, l’innovation pragmatique ordinaire est une action d’abord réformatrice et adaptative. Elle ne cherche pas la rupture brutale ni la destruction des structures existantes. Même subversive, elle vise moins à rompre les règles et les habitudes qu’à en améliorer l’efficacité. Son ingéniosité, souvent utilitaire à l’origine, ne s’élargit à l’altruisme et à la créativité sociale que par la vision et la conviction des acteurs. (p. 201)
Dans ce dernier extrait, on comprend mieux la recherche d’utilité et d’efficacité des enseignant-e-s innovateur-trice-s. Et on comprend mieux que les universités ont intérêt à être attentives et à l’écoute de ces enseignant-e-s pour se développer en tant qu’institution de service. Plusieurs mécanismes sont de plus en plus mis en œuvre dans l’enseignement supérieur pour soutenir et développer des projets innovants, notamment via les subventions (comme le Fonds d’Innovation Pédagogique à Lausanne) et la valorisation de ce type de projet dans les carrières des enseignant-e-s via des publications ou les dossiers d’enseignement (PDF – 58Ko) ou de « valorisation pédagogique » (à l’Université catholique de Louvain).
Albero, B., Linard, M., & Robin, J. (2008). Petite fabrique de l’innovation à l’université. Quatre parcours de pionniers. Logiques sociales. Paris: L’Harmattan.
Bonsoir,
Encore une fois, un article qui suscite, provoque et titille la réflexion!
J’ai également apprécié la lecture de cette ouvrage pour la qualité de la recherche menée et pour les pistes de travail que cela peut offrir.
A la lecture de cet ouvrage, des questionnements sur l’innovation pédagogique dans son ensemble, je me demande si une recherche de modélisation de cette innovation dans le contexte de l’enseignement supérieur ne serait pas intéressante à mener. Cette réflexion a été induite quand j’ai pris connaissance de cette chaire portant sur la modélisation de l’imaginaire (http://imaginaires.telecom-paristech.fr/2010/10/11/inauguration-le-discours-de-pierre-musso/) et de cet article portant sur l’injonction d’innover (https://mail.google.com/mail/?ui=2&view=bsp&ver=ohhl4rw8mbn4).
Finalement je me dis que parfois lors de colloques ou de conférences, nous montrons souvent des situations d’innovations pédagogiques sans parfois faire comprendre ce qu’elle est réellement. Créer une modélisation de l’innovation permettrait peut-être de mieux comprendre ses mécanismes, ce qu’elle entend, ce qu’elle prétend.
Pour moi cela fait aussi écho à l’introduction des TIC dans l’enseignement, bien souvent associé à de l’innovation.
Nous avons organisé le 10 et 11 février des journées sur le métier d’ingénieur pédagogique et ont été mise en lumière deux façons d’envisager les TIC, pour certains elles sont le catalyseur de nouvelles pratiques pédagogiques en les suscitant et pour d’autres ce sont les pratiques pédagogiques qui suscitent le bon usage des TIC et donc une forme d’innovation.
Je suis très intéressée par vos actions de mises en lumière de l’innovation pédagogique à Lausanne. Je pense que c’est en effet très important.
Désolée par avance pour mes réflexions ici qui partent dans tous les sens mais vos articles stimulent ma réflexion!
Bon week-end : )
🙂 L’innovation a pour caractéristique parfois de partir dans tous les sens aussi!
L’innovation pédagogique est souvent à la croisée de beaucoup de choses et c’est ce qui fait s’entrechoquer des idées, des représentations, des objectifs parfois fort différents qui viennent d’un-e enseignant-e mais qui se heurtent à une administration, à des collègues, à une institution…
Sous le premier lien que vous donnez, on voit qu’il y a beaucoup d’intérêt à valoriser l’innovation dans les universités (par contre votre second lien ne fonctionne pas?).
S’il y a un lien vers les journées du métier d’ingénieur pédagogique, ce serait aussi le bienvenu!
Merci à vous!
Bonjour,
Voici le lien vers l’article « Répondre à l’injonction d’innover » qui traite de l’innovation en général : http://www.internetactu.net/2011/02/09/repondre-a-linjonction-dinnover/
Concernant les journées sur le métier de l’ingénieur pédagogique, elles se sont déroulée le 10 et 11 février. Les vidéos des interventions et des échanges seront déposées d’ici peu, voici le blog : http://igepedago.fr
Lors de ces journées, j’ai aminé une table ronde sur le rôles, les missions d’un ingénieur pédagogique. Une recherche produite par Recre@sup (dont vous il me semble) m’a beaucoup aidée à préparer mes questions. Cette recherche s’intitule « Nouvelles structures, nouveaux métiers en lien avec l’introduction des TICE dans les institutions d’enseignement supérieur ».
Bonne journée de lundi,
Emilie
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[…] La fabrique de l’innovation à l’université : https://pedagogieuniversitaire.wordpress.com/2011/02/12/la-fabrique-de-linnovation-a-luniversite/ […]