En 1993, Michel Saint-Onge a publié un livre qui faisait suite à une série d’articles (1987; « La tâche des élèves se limite-t-elle à l’enregistrement d’informations?« , 1988; « Les élèves ont-ils vraiment besoin des professeurs?« , 1989) maintenant célèbres dont l’idée centrale est résumée par la formule « Moi j’enseigne, mais eux, apprennent-ils? ». L’auteur entendait ainsi attirer l’attention des enseignant-e-s sur une conception bien ancrée dans la profession qui consiste à supposer que les étudiant-e-s apprennent du simple fait qu’ils/elles ont reçu un enseignement. Dans le numéro de Juin 1987 de « Pédagogies collégiales », une revue québécoise, Saint-Onge traduisait les grandes lignes d’un article de Marilla Svinicki paru deux ans plus tôt aux États-Unis. Ce court article est articulé autour de 8 postulats ou conceptions de certain-e-s enseignant-e-s à propos de l’apprentissage de leurs élèves. Je présente ici ces 8 postulats et je propose une réflexion autour des spécificités de l’enseignement supérieur car Saint-Onge s’est surtout intéressé aux enseignements primaire et secondaire. La formulation de ces 8 affirmations peut paraître un peu caricaturale. Il est évident que les enseignant-e-s ne disent pas ce genre de choses telles quelles… Elles sont simplement formulées pour attirer l’attention sur certains aspects de l’apprentissage qui ne sont pas toujours remis en question à l’université.
- « La matière que j’enseigne est assez intéressante pour capter l’attention des étudiant-e-s« . Certain-e-s enseignant-e-s du supérieur pensent que leurs étudiant-e-s ont choisi leurs études en toute connaissance de cause et sont motivé-e-s dès le départ par tous les cours de leur programme. Même si le contenu des cours est bien sûr essentiel, il ne suffit pas dans la perspective d’un enseignement. Selon Saint-Onge, l’intérêt et la motivation ne sont pas inhérentes au contenu enseigné mais bien davantage à la façon de l’enseigner. L’auteur propose dès lors de s’interroger sur la pertinence des contenus enseignés au regard de l’expérience des étudiant-e-s, aux techniques d’éveil de la curiosité (comme les advanced organizers) et à la variété des styles d’enseignement quand on s’adresse aux étudiant-e-s.
- « Les étudiant-e-s sont capables d’enregistrer et d’intégrer un flot continu d’information pendant plus de 50 minutes« . Enseigner, ça devrait d’abord être organiser les informations en les hiérarchisant et en les adaptant au niveau des étudiant-e-s , rappelle Saint-Onge. C’est ensuite varier les styles et les activités d’apprentissage, idéalement de 20 en 20 minutes.
- « Les étudiant-e-s apprennent en écoutant« . Certain-e-s étudiant-e-s privilégient d’autres façons d’apprendre que l’écoute, même active, comme la lecture, la discussion, la résolution de problèmes, etc. Cela vaut dès lors la peine de varier les styles d’enseignement quand on a face à soi un groupe important d’étudiant-e-s.
- « Les étudiant-e-s sont des auditeur-trice-s averti-e-s et habiles à prendre des notes« . Apprendre à prendre des notes dans l’enseignement secondaire n’est pas toujours directement utile dans l’enseignement supérieur. Les enseignant-e-s à l’université ont davantage d’exigences et s’attendent souvent à ce que leurs étudiant-e-s sachent prendre des notes de façon adaptée à leur discipline. Or cette compétence demande un certain temps d’apprentissage et une adaptation à la réalité de l’enseignement supérieur (notamment pour la quantité de matière). J’en avais déjà parlé dans une autre note: il est possible de soutenir les étudiant-e-s de première année dans leur apprentissage de la prise de notes.
- « Les étudiant-e-s ont les connaissances préalables et le vocabulaire suffisant pour arriver à suivre les exposés« . Les prérequis attendus par les enseignant-e-s à l’université sont parfois un peu trop élevés par rapport à ce que les étudiant-e-s ont réellement appris dans l’enseignement supérieur. Ils/elles ont appris à prendre des notes, à organiser leur travail, à étudier, à rédiger des textes, etc. mais de façon « généraliste ». Il faut en général un certain temps pour qu’ils/elles s’adaptent aux exigences spécifiques de chaque enseignant-e et de chaque discipline. De plus, les enseignant-e-s universitaires n’ont pas toujours le réflexe d’encourager leurs étudiant-e-s à établir des liens entre la matière vue au cours et leurs connaissances préalables.
- « Les étudiant-e-s sont capables de diriger seul-e-s leur propre compréhension« . Il n’est aisé pour personne de s’auto-évaluer et d’identifier soi-même des lacunes dans son apprentissage. Cela demande un apprentissage en soi. C’est pour quoi il est vraiment important pour les étudiant-e-s d’avoir des occasions de s’exercer et de tester leurs connaissances avant les examens. Le rôle des enseignant-e-s est alors d’organiser des exercices et de donner du feedback oralement ou par écrit.
- « Les étudiant-e-s sont assez sûr-e-s d’eux/elles-mêmes pour le dire lorsqu’ils/elles ne comprennent pas« . En lien avec le postulat précédent, il faudrait non seulement que les étudiant-e-s identifient leurs lacunes et qu’en plus, ils/elles osent l’exprimer (de façon compréhensible) à un-e enseignant-e qui va les évaluer. Cela reste peu évident pour la plupart des étudiant-e-s d’autant plus si les séances de questions/réponses sont collectives. La timidité de certain-e-s les empêche de s’exprimer en groupe. Des discussions en petit groupe, des questions écrites, l’organisation d’enseignement mutuel entre étudiant-e-s, etc. peuvent être mises en place pour amener les étudiant-e-s à poser leurs questions.
- « Les étudiant-e-s peuvent traduire ce qu’ils/elles entendent en action« . Les informations verbales reçues au cours ne sont pas nécessairement directement transférées dans des actions pratiques sur un terrain professionnel. Les étudiant-e-s, rappelle Saint-Onge, ont besoin de moments d’exercices pour s’approprier les matières enseignées et les transférer dans d’autres contextes.
Au bout du compte, le message est finalement toujours le même dans les articles de Saint-Onge: ça vaut vraiment la peine de s’intéresser à l’apprentissage des étudiant-e-s et d’essayer de comprendre leurs difficultés pour améliorer son enseignement. De mon point de vue de conseiller pédagogique, ces textes sont assez pratiques à utiliser et me donnent quelques arguments quand je discute avec les enseignant-e-s à propos de leurs questions sur l’apprentissage des étudiant-e-s.
Saint-Onge, M. (1987). Moi j’enseigne, mais eux, apprennent-ils ? Pédagogie collégiale, 1(1), 13-15.
Saint-Onge, M. (1988). La tâche des élèves se limite-t-elle à l’enregistrement d’informations ? Pédagogie collégiale, 1(3), 13-16.
Saint-Onge, M. (1989). Les élèves ont-ils vraiment besoin des professeurs ? Pédagogie collégiale, 3(2), 9-13.
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