Si dans la littérature pédagogique francophone on parle relativement peu des grilles d’évaluation critériées, il n’en va pas de même dans le monde anglo-saxon. En anglais, il existe une large littérature de recherche et on peut trouver sur le web de nombreux sites avec des exemples de grilles d’évaluation et des conseils pour en construire. J’avais déjà rassemblé plusieurs ressources dans une note précédente.
Dans la présente note, j’aimerais résumer l’article récent de Reddy et Andrade (2010) A review of rubric use in Higher Education. Ces deux chercheuses ont réalisé une revue de littérature sur le sujet en se posant quatre questions: quels types de recherche sont menés à propos de l’usage des grilles d’évaluation dans l’enseignement supérieur, ces grilles peuvent-elles être utilisées autant pour l’évaluation formative que pour l’évaluation sommative, comment évaluer la qualité des grilles produites par les enseignant-e-s et quelles pistes de recherche devrait-on suivre dans l’avenir?
Comme on peut s’en douter, l’usage le plus répandu des grilles d’évaluation est… l’évaluation des apprentissages des étudiant-e-s! Cependant, d’autres usages mériteraient d’être davantage mis en évidence notamment l’enseignement lui-même (pour soutenir le feedback aux étudiant-e-s par exemple ou pour cadrer les discussions en classe) et l’évaluation de programmes de formation.
De façon générale, les étudiant-e-s apprécient les grilles. Pour eux/elles, ces outils les aident à comprendre avec précision ce qui est attendu d’eux/elles aux examens et à situer leur compréhension de la matière tout au long de l’année. Cependant, pour que ces grilles s’avèrent efficaces pour l’apprentissage, les études sur le sujet mettent en évidence qu’il est utile de distribuer la grille aux étudiant-e-s avant leur évaluation (examen ou remise d’un travail).
Dans les études consultées, la vision qu’ont les enseignant-e-s de l’usage des grilles est assez différente de celle des étudiant-e-s. Ils/elles voient moins dans cet outil un soutien à l’apprentissage qu’un moyen pratique et rapide pour corriger et noter des travaux ou des copies d’examen. Ceci n’est pas étonnant mais cette vision amène certain-e-s à penser qu’il ne faut pas distribuer la grille aux étudiant-e-s avant un examen. Or les études encouragent plutôt à faire le contraire si l’on veut améliorer la réussite des étudiant-e-s. Elles encouragent même à discuter du contenu des grilles avec les étudiant-e-s, voire à les construire avec eux/elles pour qu’ils/elles s’approprient convenablement les exigences et les objectifs du cours.
En ce qui concerne l’évaluation de programme, la revue de Reddy et Andrade met en évidence plusieurs avantages: le dialogue au sein d’une commission de programme pour fixer plusieurs objectifs (et critères) communs, la possibilité de comparer les cours entre eux sur des critères bien définis et acceptés par tou-te-s ou la discussion sur l’orientation générale à donner à l’ensemble du programme.
La dernière question examinée par Reddy et Andrade est celle de la fidélité et de la validité des grilles produites par les enseignant-e-s à l’université. Là, c’est la grande interrogation. Très peu d’études ont été menées sur le sujet. En ce qui concerne la fidélité (donc le consensus intra- ou inter-correcteur-trice-s), trois études ont été recensées qui montrent l’utilité des grilles d’évaluation, notamment en calculant une corrélation élevée entre les notes données par les enseignant-e-s, par les étudiant-e-s évalué-e-s et par les pairs. Mais une étude insiste sur le fait qu’il est très important, pour obtenir un score de fidélité élevé, de prendre le temps d’une formation avec les personnes qui vont utiliser la grille pour évaluer. Souvent, ce n’est pas l’enseignant-e seul-e qui s’en occupe. En ce qui concerne la validité (c’est-à-dire le fait que la grille permet d’évaluer les compétences qu’elle prétend évaluer), les recherches consultées insistent sur le fait qu’il faudrait soigneusement choisir le vocabulaire utilisé dans les grilles et de vérifier que la formulation des critères est bien adaptée aux étudiant-e-s à qui la grille s’adresse.
En conclusion, les conseils d’usage des grilles d’évaluation qu’on peut retirer de cette revue de littérature pourraient être résumés comme suit:
- Il est important de rendre les critères d’évaluation transparents dès le début du cours et d’en discuter avec les étudiant-e-s.
- Il est utile d’utiliser des grilles pour évaluer les étudiant-e-s mais aussi pour soutenir l’enseignement. En d’autres termes, on pense souvent aux grilles pour l’évaluation sommative mais peu pour l’évaluation formative et le feed-back.
- Il faudrait mener davantage de recherches sur les usages des grilles: leur fidélité et leur validité, leur caractère « local » (il n’est pas toujours facile d’utiliser une même grille dans différents cours ou contextes) et leur usage dans différents buts (évaluation de programme, en soutien à l’enseignement, etc.).
Reddy, Y. M., & Andrade, H. (2010). A review of rubric use in higher education. Assessment & Evaluation in Higher Education, 35(4), 435-448.
Bonjour
Je viens de découvrir votre blog . Cela va sûrement être une source d’inspiration pour moi qui me préoccupe du droit des examens et des moyens juridiques pour favoriser l’auto-évaluation des candidats aux épreuves d’examen.
Concernant l’accès des candidats aux grilles d’évaluation, c’est loin d’être acquis en France. Dans l’idéal, il serait aussi utile de savoir s’il est préférable de diffuser ou pas ces grilles avant les épreuves.
Yves LE DUC
DE
Bonjour,
Diffuser les grilles d’évaluation avant ou après, c’est une grande question. En fait ça dépend comment on voit les choses. Diffuser la grille avant l’évaluation est une bonne chose avec de jeunes étudiant-e-s à qui on veut apprendre des choses très précises comme la rigueur dans le traitement d’information, l’argumentation, la façon de s’exprimer par écrit, etc. Cela favorise le développement de compétences ou de comportements spécifiques: ils/elles n’ont qu’à se référer à la grille et à essayer le mieux possible de correspondre aux niveaux élevés de compétence.
L’ennui, c’est que si les étudiant-e-s ont la grille, ils vont peut-être se focaliser uniquement sur ces critères-là et donc ne pas faire preuve de beaucoup de créativité, d’originalité… surtout si certains critères sont quantitatifs. Ils/elles vont peut-être trouver les 3 références bibliographiques demandées mais ne pas aller au-delà ou se forcer à en trouver 3 alors qu’ils n’en ont trouvée qu’une qui est vraiment pertinente… Donc avec des étudiant-e-s plus âgé-e-s ou de Master, uniquement la liste des critères peut leur être fournie. Et on peut se réserver une petite marge d’un point par exemple (sur 6, le maximum ici en Suisse) pour la « qualité générale » du travail évalué ou pour l’originalité ou l’effort, ou le progrès par exemple…
Mais dans ce cas, la grille reste utile pour la correction. C’est juste que les étudiant-e-s ne la reçoivent pas.
Pas de réponse définitive donc, comme souvent en pédagogie 😉
Amaury
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