C’est une question assez fréquemment posée de la part des enseignant-e-s à l’université. Quatre éléments m’amènent à aborder le sujet aujourd’hui.
- Tout d’abord une anecdote. Une enseignante avec qui j’ai travaillé au début du semestre pour préparer un nouveau séminaire m’a appelé récemment pour me faire part d’un conflit qu’elle rencontrait avec une étudiante. Cette enseignante avait décidé de demander aux étudiant-e-s de réaliser une lecture d’article avec synthèse et commentaire écrits en remplacement des séances auxquelles ils/elles n’avaient pas assisté. C’était une manière pour elle d’une part d’encourager les étudiant-e-s à venir au séminaire régulièrement et d’autre part de s’assurer que chacun-e d’entre eux/elles réalisent tous les apprentissages requis pour valider l’enseignement (il n’y a pas de note chiffrée à l’issue de ce séminaire mais une validation « réussi ou échoué »). Son conflit avec l’étudiante portait justement sur le travail de lecture « en plus » à réaliser par l’étudiante qui trouvait ce traitement injuste. Avec l’enseignante, nous avons surtout discuté de l’argument qui consiste à dire: « Si les étudiant-e-s ne viennent pas en classe et ne réalisent pas les travaux demandés, comment s’assurer qu’ils/elles ont développé les apprentissages visés par le séminaire, et dès lors comment valider pour eux/elles cet enseignement? ». Aux dernières nouvelles, il ne semble pas que l’étudiante ait été pleinement convaincue par cet argument… 🙂
- Ensuite un changement de règlement interne à l’Université de Lausanne. Depuis le début de ce semestre, le nouveau règlement général des études (PDF – 176Ko), dans son article 30, stipule que « Le contrôle de la fréquentation d’un enseignement par les étudiants, par exemple par le biais d’une « liste de présence », n’est pas un mode de validation. Ce contrôle n’est en principe pas autorisé« . Ceci a interpelé un certain nombre d’enseignant-e-s qui se demandent dès lors comment procéder pour faire venir les étudiant-e-s en classe. En réalité, la raison d’être de cette règle est d’encourager les enseignant-e-s à davantage tenir compte de critères pédagogiques pour valider un séminaire plutôt qu’en se basant sur le seul critère de la présence physique en classe…
- Une particularité culturelle lausannoise. A l’Université de Lausanne, beaucoup d’étudiant-e-s considèrent que la notion de « liberté académique » se définit par le fait de pouvoir organiser ses études en toute liberté, notamment en choisissant ses cours ou en décidant d’assister ou non aux séances. Cette définition très localement ancrée n’existe dans aucune autre université (à ma connaissance) et n’est validée dans aucun document officiel ou règlement interne quelconque. Mais cela reste l’argument principal des étudiant-e-s quand les enseignant-e-s cherchent à leur expliquer qu’il peut s’avérer utile de venir au moins de temps en temps assister aux cours… Donc même si cette définition est un peu « exotique », elle fait partie du contexte lausannois et se retrouve souvent au centre des débats lorsque l’on aborde la question de l’absentéisme des étudiant-e-s en classe.
- Enfin, une lecture récente. Celle de l’article de Joyce Barlow et de Stephanie Fleischer « Student absenteeism: whose responsibility? » (2011). Ces deux chercheuses de l’Université de Brighton ont réalisé une revue de littérature et une étude dans leur institution pour comprendre les représentations des enseignant-e-s et des étudiant-e-s à propos de l’absentéisme en classe.
Cette recherche justement essaie de mettre en lumière les « responsabilités » de l’absentéisme des étudiant-e-s. A priori, on pourrait penser que enseignant-e-s et étudiant-e-s se renvoient cette responsabilité. Mais les causes de l’absentéisme sont plus complexes que cela. Cela pose aussi de nombreuses questions: faut-il rendre les cours obligatoires? Faut-il permettre aux étudiant-e-s de suivre les cours en différé grâce à la vidéo? Faut-il leur proposer d’autres travaux complémentaires lorsqu’ils/elles ne sont pas présent-e-s?… La revue de littérature de Barlow et Fleischer apporte plusieurs informations pertinentes pour répondre à ces questions. Tout d’abord, les auteures admettent que la présence au cours n’est pas une garantie que les étudiant-e-s vont apprendre. Néanmoins, dans les recherches consultées, il y a un lien positif entre présence au cours et réussite. Ensuite, l’absence d’un certain nombre d’étudiant-e-s à une séance peut provoquer un sentiment de malaise chez l’enseignant-e mais aussi chez les autres étudiant-e-s, ce qui peut conduire à une dynamique de classe moins favorable à l’apprentissage. Enfin, la mise à disposition de séquences vidéo du cours peut donner un faux sentiment de sécurité aux étudiant-e-s qui n’assistent pas aux séances (ceci peut d’ailleurs être mis en lien avec les recherches sur l’usage des podcasts). Cependant, les recherches ne montrent pas de différence de réussite entre les étudiant-e-s qui assistent au cours et ceux/celles qui se contentent du matériel mis à disposition en ligne.
Au vu de ces constatations, nous serions en droit de nous interroger sur la plus-value des cours à l’université (sans vouloir être inutilement provocant). A quoi peuvent servir les séances en classe s’il est possible d’apprendre tout autant sans y venir et de réussir ses examens?
Barlow et Fleischer mentionnent une notion que je trouve fort intéressante et qui témoigne très bien de la transformation des publics d’étudiant-e-s depuis une quinzaine d’années. Il s’agit de « l’engagement négocié« . Cette notion suggère que la présence et l’implication des étudiant-e-s dans les cours n’est pas (ou n’est plus) un comportement qui va de soi. Actuellement, il y a un besoin de donner davantage de sens à la formation universitaire vis-à-vis de l’utilité des connaissances et compétences qui y sont développées, que ce soit dans une perspective professionnelle ou non.
La recherche menée par les auteures de l’article explore cet engagement négocié grâce à l’analyse des réponses à un questionnaire envoyé aux enseignant-e-s de leur université et à l’interview de 25 étudiant-e-s des deux premières années universitaires à propos de leur présence ou absence aux cours. Plusieurs résultats méritent d’être pointés ici:
- Dans certaines sections, les cours sont rendus obligatoires (en médecine notamment ou dans les formations à visée professionnalisante) mais le contrôle des présences est quasiment impossible avec de grands groupes. Dès lors, un des enjeux pour les enseignant-e-s est de diminuer le plus possible le sentiment d’anonymat des étudiant-e-s (ceci est un conseil d’ailleurs souvent donné quand on enseigne à de grands groupes) en demandant aux étudiant-e-s de transmettre leur photo d’identité et leurs attentes vis-à-vis du cours en début d’année, en faisant intervenir le plus possible les étudiant-e-s en classe ou en insistant régulièrement sur le lien entre présence au cours et réussite.
- D’un point de vue pédagogique, il est aussi possible de faire en sorte qu’il soit difficile de réussir l’examen sans être venu au cours, par exemple en basant les questions d’évaluation sur des exercices réalisés en classe, ou des discussions conduites avec les étudiant-e-s, ou des présentations faites par des expert-e-s invité-e-s, etc. Les travaux de groupe semblent être aussi un bon moyen d’impliquer les étudiant-e-s: ils/elles ressentent assez fortement une responsabilité vis-à-vis de leurs collègues pour la réussite du travail collectif.
- Selon plusieurs enseignant-e-s, il n’est pas bon de rendre la formation universitaire trop « scolaire ». Les étudiant-e-s ont besoin aussi d’apprendre l’autonomie et la responsabilité qui l’accompagne. Mais cet apprentissage constitue un vrai défi pour certain-e-s étudiant-e-s qui doivent apprendre à gérer leurs études mais aussi toute leur vie quotidienne. Sans compter que certain-e-s travaillent parallèlement à leurs études pour les financer. Ceci est une réalité dont les universités devraient peut-être davantage tenir compte.
- Pour certain-e-s enseignant-e-s, la présence au cours n’est qu’une partie de l’expérience d’apprentissage des étudiant-e-s. Ils/elles cherchent aussi à proposer des travaux individuels ou de groupe intéressants à réaliser en dehors de la classe, ou des formes d’interactions variées, notamment par le biais d’une plate-forme d’enseignement en ligne.
Dès lors, pour répondre à la question « qui est responsable », Barlow et Fleischer citent entre autre certaines politiques institutionnelles qui peuvent être parfois trop laxistes ou trop contraignantes. Quelques règles souples, adaptables selon les types de cours et de contextes, pourraient aider à constituer un cadre général à la présence des étudiant-e-s en classe. L’exemple du nouveau règlement de l’université de Lausanne ne semble donc pas mauvais, même s’il mériterait d’être un peu plus explicite d’un point de vue pédagogique (en proposant des pratiques qui fonctionnent bien par exemple). D’un point de vue institutionnel, l’accompagnement des étudiant-e-s dans leurs premières années universitaires mériterait aussi davantage d’attention. Les auteures citent aussi comme responsables certaines pratiques d’enseignement, notamment celles qui proposent des usages peu réfléchis des technologies (la simple mise à disposition d’enregistrements ou de documents de cours par exemple qui n’apportent pas toujours une réelle plus-value pédagogique). Elles citent finalement les étudiant-e-s eux/elles-mêmes ainsi que leurs familles qui n’anticipent peut-être pas assez les difficultés d’apprentissage de l’indépendance et de l’entrée dans la vie adulte.
En définitive, tout le monde a une part de responsabilité… et les conseiller-ère-s pédagogiques aussi peut-être, même si Barlow et Fleischer n’en parlent pas… Nous pouvons notamment sensibiliser les enseignant-e-s à cette question et aux actions qu’ils/elles peuvent entreprendre dans leurs enseignements: se questionner sur la plus-value des cours en présence et de leur complémentarité avec des ressources et activités en ligne, réfléchir à des stratégies d’évaluation qui prennent en compte les activités réalisées en classe, ou développer des pratiques qui aident les étudiant-e-s à apprendre l’autonomie, surtout lors de la première année universitaire, pour travailler régulièrement, pour lire efficacement, pour collaborer avec les autres étudiant-e-s, etc.
Barlow, J., & Fleischer, S. (2011). Student absenteeism: whose responsibility? Innovations in Education and Teaching International, 48, 227-237.
[…] L’absentéisme des étudiant-e-s Cette recherche justement essaie de mettre en lumière les « responsabilités » de l’absentéisme des étudiant-e-s. A priori, on pourrait penser que enseignant-e-s et étudiant-e-s se renvoient cette responsabilité. Mais les causes de l’absentéisme sont plus complexes que cela. Cela pose aussi de nombreuses questions: faut-il rendre les cours obligatoires? Faut-il permettre aux étudiant-e-s de suivre les cours en différé grâce à la vidéo? Faut-il leur proposer d’autres travaux complémentaires lorsqu’ils/elles ne sont pas présent-e-s?… Source: pedagogieuniversitaire.wordpress.com […]
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Bonjour Amaury,
Je trouve que pédagogiquement le prof. Éric Mazur répond bien à nos questionnements pédagogiques. Où est la responsabilité du fait que les étudiant-e-s ne viennent plus au cours? La société a évolué et l’Université malheureusement pas encore… La qualité d’un enseignement se base-t-elle sur la présence d’étudiant-e-s qui gobent ce que le-la prof dit ou bien sur la qualité pédagogique de ce que le-la prof exprime et la qualité de ses propos en lien avec sa recherche?
Bonjour,
A mon sens, un des problèmes (un problème parmi d’autres) est que certain-e-s enseignant-e-s ne s’adressent pas à tou-te-s les étudiant-e-s mais seulement à la minuscule partie de leur auditoire qui serait motivée à poursuivre vers une thèse et une carrière académique. L’immense majorité des étudiant-e-s ne vient pas à l’université pour cela (malheureusement pour ces enseignant-e-s) mais pour apprendre un métier et trouver du travail (parce que quoi qu’on en dise, avoir un diplôme universitaire donne plus de chance d’obtenir un jour du travail).
Le grand mérite de Mazur à mon avis est qu’il s’adresse à tou-te-s les étudiant-e-s, en ayant un discours scientifique de très haut niveau tout en montrant à chacun-e qu’il/elle est capable d’y arriver et que ce qu’il/elle est en train d’apprendre est utile quels que soient ses choix professionnels plus tard.
Récemment, la mathématicien Vilani a accordé une interview dans laquelle il se plaint de la chute de la motivation des étudiant-e-s (http://www.lesechos.fr/economie-politique/politique/actu/0202327724540-cedric-villani-il-faut-repenser-notre-approche-de-l-enseignement-500522.php). C’est plutôt lui que je plains… Une fois pour toutes: les étudiant-e-s sont motivé-e-s pour apprendre et travailler!! La seule chose qu’ils/elles demandent est que ce qu’ils/elles apprennent ait du sens par rapport à leurs objectifs personnels!
Mais il y a aussi une responsabilité chez les étudiant-e-s: c’est de se construire un objectif personnel en suivant des études universitaires. Il n’est pas possible d’être motivé-e à long terme, et donc de venir régulièrement au cours, si on ne sait pas pourquoi on poursuit les études auxquelles on s’est inscrit-e…
Amaury
Je suis totalement d’accord ! =)
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