Il y a bientôt 20 ans qu’est sorti le livre d’Annie Bireaud « Les méthodes pédagogiques dans l’enseignement supérieur » (Bireaud, 1990). Outre ce livre, elle avait publié la même année un article sur le même sujet (PDF – 1,4Mo) dans la Revue française de pédagogie. En relisant l’article 20 ans après, je me dis que son analyse est encore tout à fait actuelle mais en même temps, je me demande parfois ce qui a vraiment changé depuis. En 1990, je commençais moi-même des études universitaires (en philosophie et sciences de la communication) et d’un certain point de vue, j’ai un peu de mal à voir ce qui a changé depuis cette époque en termes de méthodes pédagogiques. C’est peut-être un peu pessimiste de ma part, je l’admets, car je sais bien que l’apprentissage par problème a fait son entrée dans les facultés de médecine et d’ingénieur-e-s, que des formations pédagogiques ont vu le jour, que de nombreux-ses enseignant-e-s s’interrogent sur la façon d’animer un grand groupe, que l’évaluation des enseignements s’est répandue partout, que les innovations pédagogiques sont valorisées, que des services de soutien à l’enseignement existent à présent un peu partout, que les usages des technologies font partie du paysage pédagogique, que la pédagogie universitaire se développe peu à peu en tant que discipline à part entière, que des colloques sont organisés, qu’une littérature abondante s’est développée, etc. Mais d’un autre côté, je vois parfois un grand attachement à la tradition universitaire issue de la philosophie de von Humboldt et un manque d’habitude à se poser des questions pédagogiques (sur ce point, je ne demande qu’à être contredit bien sûr…). En d’autres mots, dans les recoins des universités, la pédagogie reste peut-être un sujet un peu tabou ou quelque chose qui « va de soi » et qui ne demande pas à être remis en cause.
Mais voici plutôt quelques notes que j’ai prises en lisant l’article d’Annie Bireaud. Le texte tente de répondre à trois questions: comment le modèle pédagogique traditionnel est remis en cause (en 1990), quelles évolutions peut-on observer dans les pratiques pédagogiques et quels nouveaux modèles d’enseignement conduisent à l’émergence de nouvelles pratiques?
Pour Annie Bireaud, le modèle traditionnel (les étudiant-e-s apprennent en étant baigné-e-s dans un environnement de recherche et de développement de connaissances scientifiques) est remis en cause essentiellement par deux phénomènes qui ont changé le contexte et les missions de l’enseignement supérieur: la massification et la connexion des formations supérieures avec de nouveaux débouchés professionnels. D’une part, le modèle traditionnel était bien adapté à une certaine catégorie d’étudiant-e-s qui étaient capables d’apprendre seul-e-s et de comprendre par eux/elles-mêmes ce qui était attendu d’eux/elles. Avec la massification, cette catégorie d’étudiant-e-s qui peut prétendre à la réalisation d’un doctorat ne représente plus que 5 à 10% des étudiant-e-s de première année. Il s’agit donc d’adapter la pédagogie aux 90% d’étudiant-e-s qui ont davantage besoin de soutien. D’autre part, les besoins parfois très spécialisés du monde professionnel demandent des formations universitaires qui développent davantage ou qui mettent davantage en évidence des compétences valorisables sur le marché du travail. Les Hautes Écoles se sont ainsi positionnées différemment des Universités dans leur offre de formation supérieure. Les compétences multi-disciplinaires sont aussi mises en évidence dans de très nombreux cursus. Ces deux changements, s’ils sont bien réels, ne vont pas pour autant de soi dans des institutions qui ont fonctionné sur un certain mode pendant… plusieurs siècles.
Pour réduire les taux d’échec (puisqu’en Europe le choix est de laisser l’accès à l’enseignement supérieur le plus ouvert possible) et s’adapter à des publics de plus en plus variés (jeunes étudiant-e-s ayant des parcours dans l’enseignement secondaire parfois très différents ou adultes en reprise d’études), Annie Bireaud insiste sur l’intérêt de diversifier les méthodes pédagogiques. Depuis les années 90, c’est effectivement ce que l’on peut observer. Pour l’auteure, trois grands groupes de méthodes se sont développés: le soutien méthodologique aux étudiant-e-s (pour l’organisation de leurs études, la prise de notes, la mémorisation, etc.), l’apprentissage en groupe soutenu ou non par des technologies et l’individualisation (par exemple, la modularisation en formation continue).
Enfin, Annie Bireaud propose deux modèles pédagogiques sur base desquels de nouvelles pratiques d’enseignement pourraient voir le jour à l’université: la pédagogie par objectifs et la pédagogie du projet. Elle esquissait ainsi vers quoi devrait se développer la pédagogie universitaire dans les années à venir. 20 ans après, je dirais que beaucoup de travail reste à faire (si je considère ce qui se fait dans ma propre université) mais en même temps que ces deux modèles, sous des formes très variées et de façon pas toujours consciente, ont tendance effectivement à se développer dans les universités.
Pour finir, j’ai été un peu surpris par le fait que l’auteure ne mentionne la formation ou le soutien pédagogique aux enseignant-e-s que dans la toute dernière phrase de l’article et sous forme de question: « Si l’on envisage une formation pédagogique des enseignants du supérieur, comment la définir? en fonction de quels modèles?… » (Bireaud, 1990b, p. 20). Quand on considère les progrès qui ont été faits en la matière, en particulier dans les universités anglo-saxonnes, j’ai trouvé étonnant que ce point ne soit qu’abordé de façon marginale. Mais d’un autre côté, cela montre aussi que la pédagogie universitaire a pris de plus en plus ses marques dans l’enseignement supérieur depuis 1990. Et ça c’était pour finir sur une touche d’optimisme 🙂
Bireaud, A. (1990a). Les méthodes pédagogiques dans l’enseignement supérieur. Paris: Éd. d’organisation.
Bireaud, A. (1990b). Pédagogie et méthodes pédagogiques dans l’enseignement supérieur. Revue française de pédagogie, 91(avril-mai-juin), 13-23. Retrouvé de http://www.inrp.fr/publications/edition-electronique/revue-francaise-de-pedagogie/INRP_RF091_2.pdf.
Merci Amaury de nous faire partager tes réflexions et tes ressources, ton blog devient petit à petit chez nous un instrument de travail incontournable 😉
Et d’accord avec toi sur la lenteur de l’évolution, explicable certainement tant par les contraintes (enseigner à 500 étudiants laisse, il faut l’admettre, moins de marge pour innover…) que par un attachement sans doute de certains à une conception « one man show » de l’enseignement…
Pour faire réfléchir sur les limites du modèle, j’aime bien personnellement la citation de K. Lorenz :
« « Said but not heard
Heard but not understood
Understood but not accepted
Accepted but not put into practice
Put into practice, but for how long? »
Et également le livre « Moi j’enseigne mais eux apprennent-ils » de Saint-Onge, qui attaque 8 postulats implicites et infondés de l’ex-cathedra…
Sapez, sapez [les certitudes], il en restera toujours quelque chose…
Joyeux Noël déjà à toi !
Eric
Ah Éric! C’est étonnant comme tu pressens les thématiques de mes prochaines notes. J’y parlerai très probablement de Saint-Onge 🙂
Bonne fin de 2009, bon début de 2010!