Cet article complète plusieurs notes déjà publiées sur la thématique du conflit sociocognitif (avant de lire cette note, j’ai presqu’envie de suggérer d’aller revoir les épisodes précédents… 😉 ). Une auteure dont je n’ai pas encore parlé dans ce cadre est Britt-Mari Barth qui a publié en 1993 (2ème édition 2002) un livre intitulé « Le savoir en construction » dont les objectifs sont de décrire les mécanismes d’apprentissage et de changement conceptuel chez les étudiant-e-s et de proposer des pistes d’action en classe. Je reprends ici quelques extraits de cet ouvrage pour présenter ce que l’auteure appelle le « dialogue cognitif ». Je résume aussi quelques conseils qu’elle donne aux enseignant-e-s pour amener les étudiant-e-s à entrer dans ce dialogue.
CREER LE DIALOGUE COGNITIF
C’est par le dialogue, par l’échange, par le doute, par le conflit, par l’argumentation – suscités grâce aux exemples – que les perceptions intuitives des uns et des autres peuvent commencer à s’accorder et à évoluer vers une compréhension commune.
En laissant le temps aux apprenants de s’exprimer, en prévoyant un support visuel pour garder en mémoire toutes les observations, on suscite chez eux un premier niveau de confrontation entre l’information nouvelle et eux-mêmes. Les apprenants prennent conscience de la variété d’interprétations qu’on peut faire à partir d’une même source d’information. Mettre les apprenants « en direct » avec le savoir en question (dans sa forme concrète) permet une première analyse de ce qu’ils sont à même de percevoir. Cette analyse devra par la suite être affinée tout au long de la situation d’apprentissage.
Un deuxième niveau de confrontation est ensuite créé par l’argumentation: maintenant c’est l’interaction entre les apprenants qui est au centre. C’est une étape critique: c’est là que les conditions d’échange et de dialogue devraient permettre ce changement conceptuel qui est le but de l’opération. […]
Pour réfuter l’argument de l’autre, il faut opérer un déplacement: on est amené à voir les choses sous un autre angle. C’est en s’opposant à l’autre qu’on fait un premier pas vers lui… Cela va éventuellement amener à une transformation ou une confirmation de son propre point de vue. Comprendre veut dire créer une signification dans la multitude d’impressions qui s’imposent à nos sens. Comprendre veut également dire pouvoir adhérer à une norme commune sur laquelle il faut pouvoir se mettre d’accord. C’est dans la relation à autrui et dans l’échange que cette signification se crée; le médiateur est l’organisateur et le facilitateur de ce processus de communication grâce auquel il peut, pour chaque apprentissage, aider les apprenants à progresser dans l’élaboration de leurs réseaux conceptuels.
Un troisième niveau de confrontation – qui se poursuit en parallèle avec les deux autres – est créé par les questions que le médiateur ne manquera pas de susciter à tout moment approprié. Elles accompagnent la réflexion commune, incitent à l’analyse et au jugement critique ainsi qu’à la recherche de mots justes. Elles visent donc en premier lieu les processus cognitifs: Est-ce qu’il y a d’autres points comparables? Pourquoi voulez-vous barrer cette idée? Comment pourra-t-on regrouper toutes ces observations pour mieux voir ce qui va ensemble? Comment nommer les groupements? Comment peut-on modifier cet exemple pour qu’il devienne un exemple positif? Quelle conclusion peut-on en tirer? Le but est, à tout moment, de stimuler la réflexion des apprenants. (Barth, 2002, p. 160-161).
Ces trois niveaux de confrontation se retrouvent à différents moments dans un séminaire ou dans un cours:
- les étudiant-e-s sont confronté-e-s à des sujets scientifiques, seul-e-s ou en groupe, et sont amené-e-s à se poser des questions, à réfléchir au sens de la matière abordée, à identifier ce qu’ils/elles ne comprennent pas, ce avec quoi ils/elles sont d’accord ou pas;
- lors d’une discussion, les étudiant-e-s argumentent leur point de vue, apportent des informations complémentaires, justifient leurs opinions, résument les arguments des autres oralement ou même par écrit, etc.
- pour encadrer les deux moments précédents, les questions de l’enseignant-e sont très importantes: elles ont pour fonction de toujours mener plus loin le débat en amenant une réflexion sur le pourquoi et le comment.
Dans un cours, les moments de présentation de matière peuvent ainsi alterner, en fonction du temps disponible et des objectifs, avec des moments de présentation par des étudiant-e-s, des questions de réflexion à l’ensemble la classe, des discussions entre étudiant-e-s à deux ou trois, des synthèses des éléments importants à retenir, des brainstormings, etc.
Dans un séminaire, les discussions des travaux et des présentations d’étudiant-e-s peuvent être structurées de manière à ce que les autres étudiant-e-s doivent argumenter leurs points de vue, synthétiser le point de vue des autres, apporter de nouvelles informations, etc.
Barth, B. (1993/2002). Le savoir en construction. Paris: Retz.